Par : Maher Farghaly
- Les adeptes de la confrérie interdite croient fermement à trois principes indissociables : la souveraineté divine dans la création (rububiyya), l’unicité de Dieu dans l’adoration (uluhiyya) et la notion de gouvernance (hakimiyya). Tout ordre social qui ne s’inscrit pas dans cette trilogie est qualifié de « société de l’ignorance » – non pas au sens comportemental du terme, mais sur le plan doctrinal.
- Selon cette vision, la déclaration de foi « La ilaha illa Allah » (Il n’y a de divinité que Dieu) ne saurait être vide de sens : elle nécessite d’être transmise par une avant-garde nouvelle, par une génération qui se retire émotionnellement et spirituellement de cette société jugée ignorante, établissant une rupture totale. Cette rupture constitue, selon eux, le fondement essentiel de la formation des sociétés musulmanes.
- Dans cette perspective, la confrérie fait de la politique une voie vers Dieu. Elle élabore un plan d’action visant à tracer une ligne de démarcation nette entre les croyants et les mécréants, se considérant elle-même comme un parti d’« étrangers » dans un monde d’ignorance.
- Elle estime que l’effondrement ou l’échec des sociétés en place est la condition sine qua non pour instaurer un État islamique. La rupture, la loyauté et le désaveu (al-wala’ wa al-bara’) sont, à ses yeux, les attributs les plus nobles de cette génération coranique élue et de ce groupe victorieux.
- La conception que la confrérie se fait de la « oumma » (la communauté) ne correspond ni à la notion de nation, réduite à une poignée de poussière, ni à l’idée de patrie. Pour elle, la seule entité méritant ce titre est la « communauté croyante », investie d’une mission universelle, car elle représente l’avant-garde du véritable peuple de Dieu. Ainsi, entre nationalisme et internationalisme, la confrérie invoque la oumma mais oublie l’État.
- Elle considère que pour redonner vie au cours de l’histoire islamique, il est indispensable de pratiquer la rupture et l’élévation spirituelle. Et que seule une forme d’émigration intérieure permettrait de faire s’écrouler l’ordre de l’ignorance.
- Classée comme organisation terroriste, la confrérie se croit seule apte à diriger le monde. Ce projet de suprématie mondiale, même s’il devait s’étendre sur plusieurs siècles, puise ses prémices dans le parcours prophétique à La Mecque et à Médine.
- Elle estime que le simple fait qu’un de ses membres participe à la vie quotidienne pourrait, par inadvertance, contribuer à la survie de cette société ignorante.
- Sa mission véritable serait donc de la détruire ou, à tout le moins, de la laisser s’effondrer. Elle n’autorise le contact avec la société qu’en cas de nécessité absolue, lorsque le devoir d’appel à Dieu (da’wa) l’exige.
- Selon elle, la force et la justesse de sa pensée résident dans le caractère global de sa mission, une mission armée autant qu’oratoire, unissant prêche et action militaire.
- La confrérie opère selon une double structure : un appareil public et un autre clandestin. Ce binôme assure sa pérennité. Elle ne cesse ainsi d’invoquer la publicité de son message, tout en défendant la nécessité du secret de son organisation.
- Elle brouille délibérément les frontières entre organisation et parti politique, entre prédication et politique, entre actions publiques et activités occultes, entre structures économiques, militaires et politiques.
- Elle ne se considère pas comme une composante de la société, mais comme sa surélévation. Sa mission dépasse la simple prédication : elle est totale.
- Elle croit à l’action militaire spécifique et crée à cet effet une organisation spéciale, dédiée aux opérations armées, aux assassinats et aux actes visant à semer le désordre dans les États.
- Le sommet de son ambition est la conquête du pouvoir, par tous les moyens, quel qu’en soit le prix. Elle considère que sa mainmise progressive sur les institutions, les syndicats, les parlements et autres structures est une étape stratégique de cette conquête.
- Elle cultive sans cesse le récit de la victimisation : oppression par les régimes, souffrance dans les prisons, exclusion du pouvoir… Cette victimisation est brandie comme une bannière à travers toutes sortes de moyens, du sensationnalisme au mensonge, en passant par la falsification et l’invention pure de faits inexistants.
- Elle brouille sciemment les lignes entre la prédication et la politique, entre la confrérie et l’association, entre le secret et la transparence, pour imposer que l’intérêt de la da’wa – c’est-à-dire de la confrérie – prime sur tout, au-dessus même de celui de l’État. L’organisation, qui est la da’wa, est donc sacralisée, sa survie plus importante que celle de la nation.
- Elle utilise une jurisprudence taillée sur mesure, empruntant tantôt à la tradition, tantôt au fiqh contemporain, parfois même au réel, du moment que cela sert sa dynamique et ses objectifs stratégiques.
- Elle génère un courant hostile aux États, se dissimulant derrière des slogans multiples : l’internationalisme islamique, le juste milieu religieux, le rapprochement entre les doctrines, ou encore « l’islam est la solution ». Peu importe le message : l’essentiel est de s’infiltrer, de se dissimuler, de se répandre… jusqu’à dominer.
- La confrérie ne sait pas, au final, si elle fait partie de l’État ou si elle est l’État, si elle appartient à la communauté des musulmans ou si elle est elle-même cette communauté, si elle représente l’appel à Dieu ou si elle n’en est qu’un moyen. Quelle est la place de l’action militaire en son sein ? Pourquoi, enfin, tout ce secret entourant ses activités financières et économiques ? C’est pourquoi elle dispose de réseaux sur le terrain, financiers, économiques et prosélytes, qui dépassent les États, et dont l’organisation est parfois utilisée contre les États eux-mêmes.
Cet article publié sur le site de la chaîne Al-Arabiya