Dans les cafés du Caire comme dans les supermarchés, les rayons “bio” et “veggie” s’élargissent. Face aux préoccupations environnementales, sanitaires et économiques, de plus en plus d’Égyptiens s’intéressent à l’alimentation végétale. Mais s’agit-il d’une véritable mutation des habitudes alimentaires, ou d’une tendance réservée à une élite urbaine en quête de modernité ?
Par : Marwa Mourad
Une tendance mondiale
qui gagne l’Égypte
Depuis quelques années, la vague du végétarisme et du véganisme, née en Europe et en Amérique du Nord, s’étend à l’ensemble du globe.
L’Égypte n’échappe pas à ce mouvement. Dans certains quartiers du Caire et d’Alexandrie, de nouveaux restaurants “plant-based” voient le jour, proposant burgers sans viande, laits végétaux et pâtisseries sans produits animaux.
Sur Instagram et TikTok, des influenceurs partagent des recettes saines et mettent en avant les bénéfices de ce régime. Pour les jeunes générations, sensibles aux modes mondialisées, consommer végétal devient une manière d’affirmer une identité moderne et soucieuse de l’environnement.
Mais au-delà de l’effet tendance, il faut rappeler que la cuisine égyptienne traditionnelle possède déjà un socle végétal fort. Des plats comme le foul, le taaméya (falafel), le koshari ou encore les lentilles font partie intégrante de l’alimentation populaire depuis des siècles. Le boom actuel ne serait-il donc pas simplement une redécouverte de pratiques anciennes sous un habillage moderne ?
Santé, environnement et religion :
Des motivations multiples
L’essor de l’alimentation végétale est souvent présenté comme une réponse à des préoccupations sanitaires. L’Égypte connaît l’un des taux de surpoids et de diabète les plus élevés de la région.
De nombreux nutritionnistes recommandent de réduire la consommation de viandes grasses et de privilégier légumes, légumineuses et céréales complètes. Pour certains citadins, opter pour une alimentation végétale signifie reprendre le contrôle sur leur santé.
La motivation écologique s’ajoute à cette logique. Le pays, confronté au réchauffement climatique et à la rareté de l’eau, doit repenser son agriculture. Produire un kilo de viande consomme bien plus de ressources qu’un kilo de légumineuses.
En ce sens, le choix du végétal rejoint une préoccupation collective : préserver le Nil et limiter l’empreinte carbone.
Enfin, il existe une dimension culturelle et spirituelle. Dans la tradition copte orthodoxe, de longues périodes de jeûne imposent une alimentation strictement végétale.
De même, les pratiques musulmanes de jeûne ou de restriction favorisent des plats à base de légumes et de céréales. Loin d’être une rupture, le boom végétal semble donc s’inscrire dans une continuité culturelle.
Un marché en plein essor
mais encore limité
Malgré cet engouement, l’alimentation végétale reste difficile d’accès pour une large partie de la population.
Les produits importés, tels que le lait d’amande, le fromage végétal ou les substituts de viande, sont souvent vendus à des prix élevés dans les supermarchés. Pour une classe moyenne sous pression économique, ces produits demeurent un luxe.
Cependant, des entrepreneurs locaux commencent à développer des alternatives plus abordables. Des petites entreprises lancent des gammes de houmous, de burgers de lentilles ou de snacks à base de pois chiches, avec un packaging moderne destiné à séduire les jeunes.
Ce marché encore émergent pourrait représenter une opportunité économique, à condition d’être soutenu par des politiques agricoles encourageant la production locale de légumineuses et de céréales.
Mode passagère
ou nouveau modèle alimentaire ?
L’avenir de l’alimentation végétale en Égypte dépendra de plusieurs facteurs : la capacité du pays à démocratiser l’accès à ces produits, la prise de conscience sanitaire et environnementale, et l’appropriation culturelle de cette tendance. Pour l’instant, le mouvement reste concentré dans les grandes villes, auprès d’une jeunesse connectée et d’une clientèle à pouvoir d’achat relativement élevé.
Mais si les traditions culinaires locales sont valorisées, si les entrepreneurs parviennent à proposer des produits accessibles et si la sensibilisation continue dans les écoles et les médias, alors ce qui ressemble aujourd’hui à une mode pourrait bien devenir une véritable révolution durable.