L’approche dangereuse de l’hiver assène forcément un coup au moral. Mais pour autant, il est hors de question de le laisser glisser doucement dans nos chaussettes. On le sait, qui dit mois de novembre dit pluie et premiers frimas. Certes. Alors pour combattre la morosité ambiante et adoucir nos soirées bien au chaud, on se plonge sans hésiter dans un bon bouquin (ou plusieurs). L’activité adéquate pour s’offrir une petite parenthèse hors du temps. L’occasion idéale pour découvrir notre sélection de dix ouvrages à savourer bien au chaud.
“Le dernier des siens”
de Sibylle Grimbert
On hésiterait presque à résumer l’histoire de ce roman, de peur que le lecteur se dise « quel sujet bizarre » et se prive d’un moment singulier, troublant et profond. Mais comment donner envie de lire, sans rien dire ? Alors, c’est du bout des doigts que l’on écrira que « Le Dernier des siens » parle d’un jeune zoologue qui, au milieu du XIXe siècle, sauve, dans une île du nord de l’Europe, un grand pingouin. Gus pense ne garder « Prosp » – le nom dont il a baptisé l’oiseau – que quelques semaines : il le relâchera quand il lui aura trouvé des congénères. Le temps passe, et Gus échoue à dénicher la moindre colonie de grands pingouins, alors que le lien qu’il tisse avec Prosp se renforce.
Pendant quinze ans, l’homme et l’animal forment un duo étrange, incompris de tous. Avec une finesse excluant tout anthropomorphisme, Sibylle Grimbert parle de cet autre type d’amour, pas moins intéressant que celui que l’on peut nouer dans notre propre espèce. « Le Dernier des siens » annonce la sixième extinction en cours, mais porte aussi un grand message d’espoir : Gus incarne le «premier des siens», de ces humains capables d’envisager les animaux comme tellement plus que des créatures inférieures. Et d’être prêts à tout pour les sauver.
“Les tourmentés”
de Lucas Belvaux
« Ça vaut quoi la vie d’un homme – a fortiori une vie d’invisible, sans amour, à la lisière du monde ? » Cette question traverse le premier roman très maîtrisé du réalisateur belge Lucas Belvaux, et tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin, tant les réponses sont multiples et complexes, à l’image des âmes tourmentées qui s’y expriment. Skender, Max, Madame, Manon et les enfants, chacun raconte sa propre version de l’histoire dans un roman polyphonique où il est question d’un contrat brûlé après signature, d’amours trahis et d’espoirs déçus. Mais la vérité demeure insaisissable, comme le sont les protagonistes : chacun ment, élabore des stratégies de survie, joue un rôle qui lui échappe sur la grande scène de l’existence.
Vivre est une lutte qui demande plus de courage que de mourir dans «Les Tourmentés» : accepter de regarder le monde tel qu’il est et les hommes tels qu’ils sont, de même que savoir s’abandonner – à l’amour, à la beauté, au langage. Or les mots échouent à dire ce qui a été vécu et touchent rarement leur cible. Les héros de Belvaux s’épuisent en épuisant le langage, incapables, à l’instar des enfants, « de mettre des mots sur ce qui les taraude ». Pourtant, ces mots sont aussi le moyen d’une possible rédemption, quand bien même ce qui aura été perdu le sera pour toujours : il suffit pour cela d’être à l’affût et de retenir son souffle, «nerfs tendus, sens aux aguets», et de laisser le temps s’étirer et sonner l’hallali. De viser juste.
“Avant la fin du monde”
de Laurent Decaux
Bien sûr, comparer un auteur à Jean Giono, c’est placer la barre bien haut. Il y a pourtant des similitudes entre ces romans qu’on pourrait dire «en costume», on a envie de dire, car leur contexte historique est si bien dépeint qu’on en palperait presque les étoffes. Dans les deux cas, le héros, amoureux d’une femme interdite, est un jeune Italien qui trace sa route dans un décor grandiose, alors qu’une pandémie menace. Mais si Angelo arpentait la Provence du XIXe siècle, Vitto, le héros de Laurent Decaux, lui, traverse la Méditerranée, direction Caffa, en Crimée, afin de porter secours à ses congénères génois assiégés par l’empereur mongol. On est au XIVe siècle et, au bout du chemin, il y aura la peste noire, une maladie qui nous rendrait presque les coronavirus sympathiques. « Avant la fin du monde » est une épopée maritime et humaine : elle avance majestueusement, comme au rythme de cette galère mue par une armée de rameurs. Et si on sait qu’elle se dirige droit vers le gouffre, on retient son souffle et on en demande encore. Laurent Decaux n’est peut-être pas Jean Giono, mais il excelle à tenir son lecteur en haleine et, d’aventure en aven-ture, à l’emmener au bout du monde !
“Bestioles, le pou”
d’Isabelle Collombat et Julie Colombet
On le déteste, mais le pou nous adore. Pas plus gros qu’un grain de sable, prenant la couleur des cheveux qu’il habite, capable dans sa courte vie (quarante jours environ) de pondre environ trois cents œufs, résistant à presque toute tentative d’expulsion des chevelures, ce parasite aussi vieux que les dinosaures nous a dans la peau. C’est un gourmand. Il raffole de notre sang, de notre sueur et de notre chaleur, mieux, il ne peut pas s’en passer. Grâce à cette nouvelle collection Bestioles, des albums sous la forme d’une bande dessinée joyeuse, pleine d’esprit et instructive, adaptée des podcasts de France Inter, on apprend les us et coutumes de cet insecte au point de connaître ses quelques faiblesses pour s’en débarrasser, et surtout pour en rire. Car rien que d’en parler, ça gratte déjà !