Par Samir Abdel-Ghany


Un an s’est écoulé depuis que Mohamed Hakem a quitté ce monde, mais son ombre lumineuse continue de traverser les ruelles du Caire, de sourire aux passants, et de se glisser dans les conversations comme une réplique malicieuse. Hakem n’était pas un simple caricaturiste : il était un penseur qui maniait l’ironie comme d’autres manient le pinceau, un philosophe de la vie qui transformait chaque trait de crayon en une leçon d’humanité.Il avait ce talent rare de rendre la simplicité profonde et la dérision universelle. Ses dessins, exposés au Musée de la caricature de Fayoum ou à Beit Galal sur la place Abdin, sont bien plus que des traits d’encre : ils constituent un véritable atlas de la société égyptienne. Sous ses lignes vives, on entend battre le cœur de la rue, on sent l’odeur du café matinal, on distingue les accents variés d’Alexandrie au Saïd. Hakem, par ses yeux de sociologue déguisé en humoriste, savait distinguer l’âme d’un pays dans le détail d’un visage ou la posture d’un passant.Sa philosophie de vie, il l’avait confiée avec la simplicité des sages : la vie, disait-il, est une partie de dés où l’on se réjouit du moindre chiffre. Inutile de convoiter l’impossible sept, mieux vaut savourer l’un, et s’émerveiller si vient le deux. Dans cette parabole se concentre l’esprit d’Hakem : une sagesse joyeuse, une invitation au contentement, une dérision qui console sans jamais désespérer.Son héritage est donc double : celui d’un artiste et celui d’un maître de vie. Ceux qui l’ont connu se souviennent de ses conversations qui ressemblaient à des cours magistraux improvisés, non pas dictés du haut d’une chaire, mais livrés autour d’un café, d’un rire franc, d’un regard complice. Il enseignait à observer les gens comme on contemple une toile : chaque être humain recèle une nuance que seul l’œil attentif peut discerner.On dit que certains artistes survivent à travers leurs œuvres. Hakem, lui, survit aussi à travers son rire, sa voix et ses phrases devenues boussole. Oui, il est parti, mais son esprit reste celui d’un enfant rieur et d’un penseur clairvoyant, toujours prêt à rappeler que la beauté se cache jusque dans la rudesse des jours.À l’heure où l’on feuillette ses dessins, on croit encore entendre sa voix douce et ironique. Mohamed Hakem, éternel ami du peuple, éternel philosophe de la dérision, n’a pas quitté nos mémoires : il continue de nous apprendre à regarder le monde autrement, avec humour, tendresse et une pointe d’insolence.