On ne connaît pas avec précision la lignée et le pays d’origine de « Nafissa Al-Bayda » ou Nafissa la blanche, mais elle est née en 1743. Certains historiens font remonter ses origines à la région du Kakhétie, aujourd’hui connue sous le nom de « Géorgie ». A cette époque, des enfants étaient transportés depuis les villages géorgiens vers Istanbul, où ils étaient vendus sur les marchés aux esclaves, puis transférés vers les marchés du Caire, pour être achetés par des beys, devenant ainsi des mameloukes ou des esclaves…

Par : Hanaa Khachaba
Son nom est encore gravé dans la mémoire des habitants du quartier de Al-Ghouriya. Il est hors de question d’oublier la dame dont la générosité a comblé les habitants de ce quartier et qui a laissé son empreinte sur les environs de Bab Zuwaila.

Dès que vous franchissez la porte historique, les vestiges de la région connue sous le nom de « Nafissa Al-Bayda » attirent votre attention. Il s’agit d’une sorte de caravansérail (wikala) et d’un abreuvoir (sébil). Ce dernier a conservé ses caractéristiques, tandis qu’il ne reste du wikalaqu’une enseigne en fer qui résiste au temps et à la poussière accumulée, permettant aux visiteurs de lire l’inscription « Wikalat Nafissa Al-Bayda », et derrière elle se dresse une grande porte en pierre et une porte en bois. L’endroit est désormais connue sous le nom de « commerce des bougies » ou wikalat al Chomou’.



Avant de s’installer chez son nouveau maître, Nafissa, l’esclave d’origine circassienne, dit-on, se voyait attribuer un nom arabe qui la séparait complètement de son passé, lui conférant une nouvelle identité. Elle était instruite des principes de l’Islam et formée aux devoirs d’obéissance et aux règles de conduite dans les maisons des princes. Le nom donné à Nafissa Al-Bayda était «Nafissa bint Abdullah». C’est à peu près ce parcours que Nafissa Al-Bayda a suivi avant d’arriver au Caire au milieu du XVIIIe siècle en tant qu’esclave d’Ali Bey Al-Kebir, le gouverneur mamelouk de l’Egypte à l’époque.
L’esclave devenue la première dame d’Egypte
Rapidement, grâce à sa beauté envoûtante, elle réussit à capturer le cœur du gouverneur mamelouk Ali Bey Al-Kebir qui fut charmé par sa beauté et son charisme. L’esclave se transforma alors en épouse, commandant et étant obéie, ses désirs se réalisaient.
A cette époque, Ali Bey Al-Kebir était préoccupé par son projet d’indépendance de l’Egypte vis-à-vis de l’Empire ottoman, mais Nafissa Al-Bayda captivait son cœur, le distrayant de ses affaires. Il lui fit construire un palais dans le quartier d’Azbakiya.

En plus de sa beauté éclatante, Nafissa maîtrisait la poésie en arabe et en turc, et on dit qu’elle maîtrisait aussi le français, ce qui fit d’elle la femme la plus puissante d’Egypte, convoitée par les hommes.
En effet, Mourad Bey, le prince mamelouk et chef de la cavalerie, était fasciné par la beauté de Nafissa Al-Bayda. Son amour pour elle le poussa à participer à la conspiration orchestrée par le gendre d’Ali Bey Al-Kebir et son bras droit, «Mohamed Bey Abou Al-Dhahab», qui proposa à Mourad Bey de participer au coup d’Etat contre «Bey Al-Kebir» en échange de l’épouser à Nafissa Al-Bayda. Mourad Bey accepta effectivement l’offre d’Abou Al-Dhahab et assassina Ali Bey Al-Kebir.

Elle épousa l’assassin de son mari !
Après son mariage avec l’émir mamelouk Mourad Bey, son nom fut associé au sien, et elle fut connue sous le surnom de Nafissa Al-Mouradiya. Cependant, dans le cœur des Egyptiens, elle n’était pas aussi haïe que son époux. Les Egyptiens détestaient Mourad Bey en raison de sa tyrannie, tandis qu’ils adoraient Nafissa comme une figure presque vénérée. Elle était toujours la voix de la raison qui guidait Mourad Bey vers la vérité. Elle donnait aux pauvres, protégeait les opprimés, s’opposait à l’imposition de taxes et à la confiscation des biens privés.
Nafissa, la blanche, était une femme ayant une indépendance sur ses finances. Elle réinvestit son argent dans le commerce et devint l’une des femmes les plus riches du pays. Il suffit de dire qu’elle possédait plusieurs palais, maisons, commerces, et même une petite armée composée de 400 mamelouks, sans compter un grand nombre de servantes et de domestiques dans son palais.
Elle n’oubliait pas les Egyptiens dans ses affaires commerciales et leur offrit des sébils (fontaines publiques pour boire) et des écoles pour l’éducation, pour ceux qui vivaient près de son wikala, qui existe encore aujourd’hui.
Elle gagna même le respect des Français !
Le traitement bienveillant de Nafissa ne se limita pas seulement aux Egyptiens pauvres, car elle adopta la même approche envers les soldats de l’occupation française. Elle ordonna l’ouverture de son palais pour accueillir et soigner les soldats français blessés, ce qui lui valut une grande estime et respect de la part des Français.

Elle avait également une relation directe avec l’empereur français Napoléon Bonaparte qu’elle accueillit à dîner dans son palais et à qui elle offrit une montre ornée de diamants, malgré la guerre qui se déroulait entre Mourad Bey et Napoléon à Guizeh, puis à Al-Buhayra, et l’exil de Mourad vers le sud, avec la poursuite des affrontements entre lui et Bonaparte lors de plusieurs batailles. Cela ne l’empêcha pas de gagner le respect même de ses ennemis.
Surnommée « la mère des mamelouks »,personne ne sait où elle fut enterrée !
Après la mort de Mourad Bey de la peste dans le sud, coïncidant avec le départ de l’expédition française d’Egypte en 1801, Nafissa fut alors appelée « la mère des mamelouks », car elle parvint à obtenir la protection des Britanniques qui étaient venus avec l’expédition de Fraser, même si ce fut pour une courte période. Elle s’accommoda ensuite des Ottomans pour protéger les mamelouks et leurs familles qui étaient sous la protection de l’Empire ottoman.

Nafissa épousa ensuite Ismaïl Bey, le contrôleur des finances d’Egypte, qui l’aidait à rassembler des fonds pour les mamelouks, jusqu’à sa mort lors de la bataille navale des mamelouks. Ironiquement, Nafissa vécut ses dernières années dans la pauvreté après avoir possédé des richesses incommensurables.
Après que le gouverneur ottoman Ahmed Khoureshid l’accusa de trahison et de complot pour renverser le régime, elle fut arrêtée et mourut sans que l’on sache où elle ne fut enterrée ni comment se termina sa vie.