Samir Abdel-Ghany







Chez Nazier El-Tonboly, chaque ligne semble naître d’un battement de vague. Fils d’Alexandrie, ce peintre a toujours entretenu avec la mer une relation intime, presque viscérale. Après un long détour par l’Angleterre, où ses fresques urbaines s’imposaient comme autant de messages secrets adressés aux passants, l’artiste revient aujourd’hui avec une exposition qui marque une étape décisive dans son parcours : Encre, présentée à la Yassin Art Gallery de Zamalek.Ce choix de l’encre noire et du blanc radical n’a rien d’un dépouillement austère. Il s’agit au contraire d’une quête d’essentiel. En abandonnant la couleur, El-Tonboly met en avant la puissance du trait, le souffle de la ligne, l’énergie brute du geste. L’exposition se déploie comme une partition où les figures humaines, les chevaux et les musiciens apparaissent dans une danse silencieuse, rythmée par la tension entre l’ombre et la lumière.La femme occupe une place centrale dans cet univers. Elle est moins un sujet qu’un motif obsédant : mémoire, désir, réminiscence. Ses visages, tantôt graves tantôt lumineux, condensent la nostalgie d’une ville et le rêve d’une mer. Dans ce registre binaire du noir et blanc, chaque regard devient éclat, chaque corps une vibration.Le cheval et le cavalier, omniprésents, fonctionnent comme métaphores de la liberté intérieure et du combat intime. Ici, l’animal n’est pas simple figure esthétique, il est élan, souffle, appel vers un ailleurs. Dans certaines compositions, des oiseaux noirs traversent la scène : leur vol ajoute à l’œuvre une dimension lyrique, proche de la poésie visuelle.Ce qui frappe, c’est le rythme. Les traits d’El-Tonboly ne sont jamais figés ; ils ondulent, se superposent, se brisent parfois, comme des notes de musique improvisées. Ses toiles relèvent autant de l’art plastique que de la chorégraphie : on y lit un mouvement permanent, une énergie qui circule. L’encre devient ainsi langage, écriture intime, partition intérieure.Avec Encre, Nazier El-Tonboly démontre que l’absence de couleur n’est pas une privation mais un choix esthétique fort, un retour aux sources du dessin comme vibration première. Loin de l’effet décoratif, son travail propose une expérience sensorielle et méditative, où la mer d’Alexandrie affleure encore, discrète mais persistante, comme une mélodie intérieure.L’exposition est visible jusqu’au 8 octobre à la galerie Yassin, Zamalek. Elle confirme El-Tonboly comme l’un des artistes les plus singuliers de sa génération, un peintre qui sait conjuguer la mémoire de sa ville natale avec une recherche plastique exigeante.