- Par-delà Shakespeare, la voix des âmes simples








Sous le haut patronage du ministre de la Culture, Dr Ahmed Fouad Hano, le Théâtre Al-Samer, au cœur d’Agouza, a accueilli le spectacle « Next Station », dans le cadre du Quatrième Forum des jeunes metteurs en scène, organisé par l’Autorité générale des Palais de la Culture, présidée par le général Khaled El-Labban. Un rendez-vous vibrant, ouvert jusqu’au 22 octobre, où la jeunesse théâtrale égyptienne explore les territoires du rêve et de l’audace.
Signé Mohamed Abou Shaara, ce spectacle est une relecture expérimentale d’« Hamlet », une odyssée poétique où le tragique shakespearien se déploie dans un univers musical et contemporain. Ici, les fantômes du passé côtoient les ombres du présent, et la question qui hante la scène n’est plus celle de la vengeance, mais celle, poignante, de l’existence même de l’amour dans un monde éreinté par la vitesse, la solitude et les fractures du réel.
Le metteur en scène a choisi la voie du théâtre total, mêlant le chant, la danse et le texte, pour faire dialoguer Shakespeare et l’homme ordinaire. Dans cette transposition sensible, « Hamlet » devient miroir des humbles, des laissés-pour-compte de la modernité. Que deviennent les simples quand le monde s’effondre ? Peut-on encore aimer, espérer, rêver ? Telles sont les interrogations qui traversent le spectacle comme une brume tenace.
Sur scène, Ibrahim Soliman incarne avec intensité Claudius, l’oncle meurtrier, rongé par la duplicité du pouvoir. Rawan Amara, dans le rôle de Gertrude, livre une performance bouleversante : reine écartelée entre la tendresse maternelle, le désir et la faute, elle s’abandonne à l’illusion de la sécurité avant de découvrir, trop tard, le goût amer de la trahison. Son ultime geste, boire le poison pour sauver son fils, éclaire la scène d’une lumière tragiquement humaine.
La musique, composée par Assem Alaa, s’impose comme un personnage à part entière. Elle épouse les émotions, amplifie les silences, fait frémir les ombres. Tantôt festive lors des noces, tantôt oppressante lors des apparitions du spectre, elle guide le spectateur dans un voyage où la beauté et la douleur s’entrelacent.
Eman Badawi, conceptrice du maquillage, a privilégié la sobriété expressive, jouant sur les teintes naturelles et les matières brutes pour maintenir la proximité entre les personnages et leur humanité. Le faux sang, discret mais saisissant, devient symbole de vérité dans le mensonge, de vie dans la mort.
La distribution, nombreuse et généreuse, forme une chorale dramatique où chaque voix, chaque corps, participe à l’élan collectif : Mohamed Abou Shaara, Ibrahim Soliman, Rawan Amara, Amr Haggag, Ayman Abdel-Allah, Haidi Zaki, Hossam Sharaf, Assem Alaa… autant de visages animés par une même foi : celle du renouveau théâtral.
Le Forum des jeunes metteurs en scène, piloté par Ahmed El-Shafie et Samar El-Wazir, s’inscrit dans une dynamique féconde : donner naissance à une génération capable de revisiter les mythes, d’en extraire une vérité neuve, plus proche de notre époque. Douze spectacles en sont le fruit, échos multiples à la question inaugurale de l’atelier de l’an passé : « Hamlet, qui es-tu ? »
La réponse, peut-être, se trouve dans « Next Station » : Hamlet, c’est chacun de nous, voyageur égaré entre les gares de la mémoire et du présent, cherchant, encore et toujours, à comprendre ce que signifie aimer dans un monde qui ne sait plus s’arrêter.
Demain, à 21 h, le Théâtre Al-Samer poursuivra son itinéraire poétique avec « Ha Am Mallalt », une nouvelle proposition signée par la troupe du Palais de la Culture de Damanhour, mise en scène par Abdel Rahman El-Zoghbi.
— Un théâtre qui respire, qui ose, et qui nous rappelle que la création, comme l’amour, n’a jamais dit son dernier mot.