Eh bien oui ! La formule claque comme un constat d’époque, tant les images s’imposent. Des fillettes en robe de cuir noir, fardées comme des stars de cinéma, défilent déjà sur TikTok et Instagram. Des tutoriels beauté conçus par des gamines de neuf ans récoltent des milliers de vues, pendant que des kits de maquillage, estampillés « spécial rentrée », sont proposés à des prix irrésistibles. Le marketing, habile, transforme des produits futiles en prétendus fournitures scolaires essentiels…
Par : Hanaa Khachaba
Ce qui devrait être l’âge de la spontanéité devient celui du paraître. L’enfance se réduit, chaque jour un peu plus, à un terrain d’expérimentation commerciale. Cet engouement incontrôlable pour les achats bafoue nettement les valeurs de nos sociétés.

Faut-il y voir un simple jeu, une extension naturelle de l’imitation enfantine ? Les défenseurs de la tendance le prétendent : se maquiller, disent-ils, ne serait pas plus grave que d’enfiler les chaussures à talons de sa mère ou de jouer à la maîtresse. Le maquillage serait une forme d’expression artistique, une manière de stimuler la créativité, voire un outil pour gagner en assurance dans un monde où l’image prime. Dans une société hyperconnectée, ajoutent-ils, il serait illusoire de croire que les enfants puissent échapper à l’univers visuel qui les entoure. Alors pourquoi ne pas accepter que les codes esthétiques évoluent et s’adaptent aux nouvelles générations ?

Pourtant, l’argument séduit autant qu’il inquiète. Car derrière ce vernis d’« expression personnelle » se cache une réalité plus sombre, celle d’une adultisation forcée. Peut-être le terme semble-t-il tout neuf. Mais il est absolument vrai. Il s’agit d’un processus par lequel un enfant ou un adolescent est contraint de porter des responsabilités d’adultes trop tôt, souvent en raison de circonstances extérieures, ce qui peut entraîner un « déplaisir de vivre par responsabilité précoce » ou une privation de l’autonomie et des expériences propres à l’enfance et à l’adolescence. C’est un terme de psychologie qui décrit cette maturité prématurée.

Le maquillage des fillettes n’est pas seulement un jeu d’imitation, il est mis en scène, relayé, amplifié par des plateformes qui transforment les enfants en produits d’appel. Cette surexposition nourrit une hypersexualisationprécoce, fait peser des regards inappropriés sur des corps qui devraient être protégés, et véhicule un message inquiétant : pour être vues et aimées, les petites filles doivent déjà être séduisantes. On ne joue plus, on performe. On ne s’amuse plus, on se conforme. On tue l’innocence. On tue l’enfance.
Le problème n’est pas le maquillage en soi, mais le système qui le banalise et le vend comme une nécessité. Les campagnes de marketing exploitent une faille : l’angoisse des parents de voir leurs enfants « en retard » face à leurs camarades, et le désir des enfants de ressembler à leurs modèles d’écran. La valeur éducative recule, engloutie par la logique consumériste. Et dans cette marchandisation de l’enfance, ce n’est pas seulement l’innocence qui se perd. S’y ajoutent les repères culturels, sociaux, familiaux qui, eux, vacillent.

La question dépasse le maquillage. Elle touche à l’équilibre fragile entre l’expression de soi et la préservation de l’enfance, entre liberté individuelle et exploitation commerciale. Peut-on continuer à fermer les yeux, au motif que « les temps changent » ? Ou faut-il, au contraire, poser des limites claires pour protéger une génération menacée de grandir trop vite ? Ce débat n’est pas loin de la réalité. Il interroge notre responsabilité collective. Laisserons-nous l’innocence se dissoudre dans les paillettes, ou choisirons-nous de préserver ce qui reste du droit fondamental des enfants à vivre leur âge, loin des projecteurs, à l’abri des jugements des adultes et de leurs clichés et moules de beauté ?!