Dans les ruelles vibrantes du Caire comme dans le silence chaud du désert, les Égyptiens parlent. Mais pas seulement avec des mots. Ils parlent avec des images, des métaphores, des éclats de sagesse hérités des siècles. Dans leur dialecte, les vérités s’enlacent aux détours, la franchise côtoie la ruse, et l’âme populaire se révèle à travers une langue foisonnante d’expressions colorées.
Franc ou trompeur ? L’art de dire sans dire
Dans la vie, il faut choisir : être franc, ou bien… contourner. En Égypte, ce choix est une forme de danse, et cette danse a un nom : “Laf wi dawaran” — faire des tours et des détours. Loin d’être une simple errance, c’est l’art, parfois rusé, parfois malhonnête, d’éviter le cœur du sujet. Quand on dit de quelqu’un qu’il pratique le laf wi dawaran, on désigne celui qui parle beaucoup… mais ne dit pas grand-chose, ou pire, dissimule sous des couches de mots le mensonge qui le guette.
Un marteau dans la tête: Douleur et tumulte
Et lorsque l’esprit est en tumulte, que la tête résonne de mille maux comme une enclume, on dit avec douleur et poésie : “Démaghi fiha chakouch” — Ma tête contient un marteau. L’image est forte. Elle dit la migraine, le tracas, le bruit intérieur incessant. C’est la souffrance qui cogne, invisible et persistante, dans les profondeurs du crâne.
Faire manger la poussière: L’humiliation extrême
Quand la colère prend le dessus, que l’on veut faire plier, humilier, écraser, les Égyptiens lancent : “Assafeffoh al-torab” — Fais-lui avaler la poussière. Une formule brutale, pour dire l’acte d’anéantir quelqu’un, de l’abaisser jusqu’à le contraindre à mordre le sol. L’image est saisissante, elle reflète la violence symbolique des affrontements humains.
Proverbes d’Égypte: Les sagesses du quotidien
Mais au-delà des expressions mordantes, le dialecte égyptien regorge de proverbes empreints de tendresse, d’ironie et de vérité humaine.
1. “Ba’d ma chab waddouh el-kottab” — Il est allé à l’école coranique après avoir blanchi
Ce proverbe moque gentiment ceux qui veulent apprendre… trop tard. Le kottab, école traditionnelle pour les enfants, devient ici le lieu improbable où un vieillard vient chercher le savoir. Un rappel que tout a son temps, et que l’apprentissage est un fruit qui se cueille jeune.
2. “Amal min el-bahr téhina” — Il a promis de faire du tahina avec l’eau de mer
Le téhina, cette précieuse crème de sésame, est une gourmandise populaire. Promettre d’en faire avec l’eau de mer, c’est s’engager dans l’impossible. Ce proverbe dénonce, avec humour, les promesses vides, les paroles données sans intention véritable. Il rappelle que les mots sont sacrés… quand ils sont sincères.
3. “Lagl el-ward yenski el-olek” — Pour la fleur, on arrose la plante
Et enfin, dans un souffle de poésie, ce proverbe célèbre la beauté des efforts. On n’atteint pas la rose sans arroser l’arbuste. Il faut de la patience, du soin, parfois des sacrifices, pour mériter la beauté, l’amour ou le succès. Ce proverbe chante la tendresse des compromis, le prix doux de ce qui en vaut la peine.
La langue, un miroir de l’âme populaire
Ces expressions, ces proverbes, ne sont pas que des mots. Ce sont des miroirs. Ils reflètent l’âme d’un peuple qui sait rire de lui-même, pleurer en poésie, critiquer avec élégance, et transmettre sans moralisme la sagesse des âges.
Dans chaque tournure, l’Égypte parle. Et dans ses mots, c’est toute une humanité qui se raconte.