Est-ce que l’offensive russe sur l’Ukraine va pousser à une remontée des taux d’intérêt ? Selon Patrick Artus, la réponse est négative pour plusieurs raisons qui se cumulent. Les taux d’intérêt à long terme de la zone euro ont déjà beaucoup augmenté : de -0,4% à +0,2% en Allemagne, de -0,1% à +0,7% en France pour les taux d’intérêt à dix ans. Faut-il s’inquiéter d’une hausse beaucoup plus forte des taux d’intérêt, qui aurait un effet négatif sur les marchés d’actions, sur la croissance, qui générerait un problème pour les Etats avec les niveaux élevés de l’endettement public ? Non. Pourquoi ? D’abord, le scénario le plus probable est celui où l’inflation de la zone euro (5,1% en janvier 2022) va revenir à 2% à la fin de l’année 2022, un peu en dessous de 2% en 2023. Cela résulte de ce que les coûts salariaux unitaires (les salaires corrigés de la productivité) augmentent peu : 1,5% sur un an.
Quand on analyse tous les accords salariaux signés pour 2022, on parvient à une hausse de salaire par tête de 2,5% en 2022, certes plus forte qu’en 2021 (1,5%) mais encore assez modeste. Si dans un an, ce qui est l’horizon de la BCE, l’inflation est revenue en-dessous de 2% dans la zone euro, la Banque Centrale Européenne n’a aucune raison de monter ses taux d’intérêt plus agressivement que ce qui est déjà anticipé par les marchés financiers (entre 3 et 4 hausses de 25 points de base d’ici la fin de 2023). Le deuxième argument est assez technique : ce qui influence les taux d’intérêt à long terme est le stock d’obligations détenu par la Banque Centrale, pas le flux d’achats d’obligations. La BCE va arrêter en 2022 le Quantitative Easing, donc va arrêter d’accroître l’encours d’obligations qu’elle détient. Mais elle ne va pas le réduire, et puisque ce qui compte est le stock détenu et pas le flux d’achats, l’arrêt du Quantitative Easing fera peu monter les taux d’intérêt à long terme sur l’euro.
La demande mondiale de dette sans risque va rester très forte
Le troisième argument résulte de l’observation que la demande mondiale de dette sans risque va rester très forte. Le taux d’épargne du secteur privé et le taux d’épargne total du Monde continuent à augmenter, ce qui alimente cette forte demande pour les dettes sans risque.
Elle conduit à de forts achats de dettes publiques sûres (dans la zone euro, Allemagne, France, PaysBas, Belgique, Finlande, Autriche) pour les investisseurs internationaux (Banques Centrales non européennes, assureurs, fonds souverains) qui exercent bien sûr une pression à la baisse sur les taux d’intérêt à long terme de ces pays.