Chez les Égyptiens, le proverbe n’est pas un simple jeu de mots : c’est une arme affûtée, une déclaration d’intelligence populaire, un éclat de vérité souvent enveloppé d’un humour piquant, parfois amer. Oui, ce peuple millénaire, enraciné dans sa terre et ses habitudes, a su faire de la langue un art, un miroir ironique de la société, un clin d’œil à la sagesse… ou à l’absurde quotidien. À première écoute, ces expressions paraissent confuses, voire cryptées. Mais une oreille patiente, un brin curieux, y décèle un monde de savoir, de savoir-faire et, surtout, de savoir-dire.
Quand les jeunes électrocutent sans fil ni prise
Prenez le mot kahrabtou. Littéralement, “électrocuté”. Voilà de quoi effrayer. Mais inutile de sortir les défibrillateurs, il ne s’agit pas ici de torture électrique. Dans la bouche des jeunes, ce verbe évoque simplement une pression, un stress, une accélération soudaine de rythme. En somme, l’art délicat de mettre la pression en version high voltage. On kahrabt quelqu’un comme on le bouscule sans le toucher. Et tout ça sans facture d’électricité !
Autre joyau du parler contemporain : Sabétou. Dérivé de sabet, qui signifie “fixer” ou “immobiliser”. Mais oubliez les clous et les vis : ici, on parle d’un regard, d’un argument ou d’une présence si forte qu’elle fige l’autre sur place, façon laser paralysant. C’est une victoire rhétorique sans effusion de sang. Le triomphe du verbe sur le coup de poing. Du moins, en apparence…
Proverbes : Le sarcasme en héritage
Mais le sommet de l’art populaire, ce sont bien les proverbes. Là où l’humour noir épouse la sagesse, là où la réalité crue se maquille d’images colorées.
1. Yéstad fil maya el e’kra
Il pêche dans une eau stagnante.
Traduction : certains ne peuvent s’épanouir que dans la boue. Ils guettent les faiblesses d’autrui comme un pêcheur au bord d’une mare sale, espérant y attraper une prise — ou un scandale. Le propre de ceux qui ne savent nager que dans l’eau trouble.
2. Yama gab el ghorab li omouh
Voilà ce que le corbeau a apporté à sa mère.
Le cadeau empoisonné dans toute sa splendeur. Ce proverbe vise ceux qui, en toute bonne foi (ou pas), croient faire plaisir mais sèment plutôt la catastrophe. Une boîte joliment emballée… qui contient un corbeau grinçant. De quoi repenser sa définition de la générosité.
3. Mala’ouch eïch yegibou, gaboulhoum abd yelatachou
Ils n’ont pas de quoi acheter du pain, mais ils ont un esclave à battre.
La satire sociale à son comble : une critique mordante de la vanité ridicule. À quoi bon jouer les pharaons quand on n’a même pas de quoi garnir sa table ? Ce proverbe est une gifle (verbale) à ceux qui veulent le pouvoir sans en avoir les moyens, ni même le pain.
4. Etmassakem lihad ma etmaken
Il se montre humble jusqu’à ce qu’il s’impose.
Le profil bas… stratégique. Voilà une leçon de camouflage en milieu social. Certains rampent, s’aplatissent, se font doux comme des agneaux — jusqu’au jour où ils tiennent les rênes. Et là, miracle ! L’agneau se transforme en loup. Et ce n’est pas qu’un changement de costume…
Les proverbes égyptiens, c’est tout un théâtre. Ils font rire, grincent des dents, révèlent des vérités qu’on aurait préféré ignorer. Mais surtout, ils rappellent que la sagesse, quand elle est bien piquante, a un goût qu’on n’oublie pas.