La langue n’est pas un musée poussiéreux où les mots dorment sous vitrine. Elle est un terrain de jeu, un laboratoire, un chantier permanent. Et quand la jeunesse s’en mêle, la langue prend des accents de rébellion, de fraîcheur et parfois de douce absurdité. Entre expressions flambant neuves et proverbes hérités du fond des âges, le parler des jeunes Égyptiens devient un miroir où se reflète une société en perpétuelle métamorphose.
Eftikassah
Voici une trouvaille linguistique digne d’un feu d’artifice : eftikassah. Le mot désigne ce qui est incroyable, étrange, ou carrément exceptionnel. Les jeunes, jamais rassasiés d’invention, ont même façonné un verbe : efitekesse. Traduction : créer quelque chose de complètement inédit – que ce soit une œuvre géniale… ou une belle catastrophe. Bref, un mot qui, déjà, a tout pour devenir une eftikassah en soi.
Hémsh
Autrefois, dans l’Égypte populaire, un homme qualifié de hémsh – comprenez autoritaire et intraitable avec son épouse – se voyait applaudi, presque porté en triomphe. Cinquante ans plus tard, le même mot a viré à la parodie. Il surgit dans les films en noir et blanc, dans les blagues des cafés et surtout, dans les rires complices des femmes, désormais galvanisées par un féminisme qui prend de l’ampleur. Autrement dit : jadis gloire, aujourd’hui moquerie. Le progrès, c’est aussi ça.
Yégaalou amer
Dans un registre plus tendre, voici une expression qui réchauffe le cœur : yégaalou amer. Elle s’adresse à ses hôtes pour leur souhaiter une maison toujours bénie. Une prière miniature, une caresse verbale qui transforme un simple “merci” en incantation de prospérité.
Les proverbes, perles du quotidien
· Atghada bi abl maytacha bia. Littéralement : « Je vais le manger au déjeuner avant qu’il ne me mange au dîner. » Rassurez-vous, aucun cannibalisme à l’horizon. Ce proverbe invite simplement à agir vite et à devancer l’adversaire avant qu’il ne frappe. La stratégie du “premier coup” en version populaire.
· Ekhbat rasak fil hit. Traduction sans filtre : « Cognes-toi la tête contre le mur. » Pas de poésie ici, mais une vérité brutale : quand il n’y a aucune issue, inutile de s’acharner, il faut avaler la pilule amère.
· Hatlaa min hidoumi. Littéralement : « Je vais sortir de mes vêtements. » Non, pas d’effeuillage improvisé : il s’agit d’exprimer une colère ou une exaspération si forte qu’on sent qu’on va… exploser hors de ses habits.
Ainsi va la langue des jeunes : tour à tour drôle, tendre, mordante. Elle recycle, détourne, invente, et surtout, elle vit. Et si parfois elle laisse les adultes perplexes, qu’ils se rassurent : chaque génération a eu ses eftikassah. Au fond, la langue n’a qu’une loi : rester vivante, même si elle nous donne envie, parfois, de… sortir de nos vêtements.