Il paraît que chaque peuple a sa manière bien à lui de dire qu’il n’en peut plus, qu’il frôle la crise de nerfs ou que la cocotte-minute de sa patience est sur le point d’exploser. En Égypte, et plus particulièrement au Caire — cette métropole où la vie pulse comme un tambour qui ne connaît pas le silence — les expressions de ras-le-bol ont un charme inimitable, un parfum de poussière, de klaxons et de sagesse populaire.
Rohi fi manakhiri
Littéralement : « J’ai l’âme dans le nez. » Oui, vous avez bien lu. Quand un Égyptien en arrive là, c’est que le seuil du supportable est franchi, que la dernière goutte a débordé le Nil. L’âme dans le nez, c’est le stade ultime avant l’explosion émotionnelle, le moment où la mauvaise humeur devient art de vivre.
Ana ala akhri
Traduction libre : « Je suis à bout. » Si vous entendez une mère égyptienne dire cela, surtout au Caire, prenez vos jambes à votre cou. C’est le genre de phrase qui précède souvent une punition exemplaire ou, au minimum, un regard foudroyant.
Ana mech naqesse
Comprenez : « Je ne supporte plus rien. » Une déclaration de saturation totale. Plus un mot, plus un bruit, plus un soupir de travers. Le calme avant la tempête — ou plutôt, la tempête avant le calme.
Et parce que la langue égyptienne est aussi riche en proverbes qu’un souk en épices, voici deux bijoux du genre :
Yéghour el labane men wech el-erd
Littéralement : « Qui voudrait du lait offert par un singe ? » Autrement dit, même la plus belle des choses perd de sa saveur si elle vient d’une source qu’on méprise. De la philosophie populaire dans toute sa splendeur.
Khoudouhoum el-sout abl layéghlboukoum
En version libre : « Criez plus fort avant qu’ils ne vous battent. » C’est la stratégie de ceux qui pensent que le volume sonore fait office d’argument. Ceux qui élèvent la voix pour masquer le vide de leurs raisons — une technique éprouvée dans plus d’un salon cairote. Ainsi va le génie linguistique égyptien : même dans l’exaspération, il reste poétique, imagé, et diablement vivant. Parce qu’au fond, râler est peut-être un art… et les Égyptiens, des maîtres incontestés du genre.





