L’Egypte est un pays où la sagesse populaire a longtemps servi de boussole à la vie quotidienne. Les proverbes, transmis de génération en génération, accompagnent les choix, les doutes, les joies comme les peines. Parmi les sujets de prédilection de cette sagesse populaire, l’argent occupe une place de choix. Tour à tour glorifié, redouté, moqué ou relativisé, il fait l’objet d’une multitude de proverbes qui révèlent une culture pragmatique, pleine d’humour et de lucidité. En voici une sélection, traduite et expliquée pour les lecteurs français.
«Le prêt, c’est une perte, et le remboursement, une ruine»
(As-salef talef w-erradd khosara)
Ce proverbe met en garde contre le fait de prêter de l’argent. Selon la sagesse populaire, prêter revient souvent à perdre : soit l’argent ne revient jamais, soit il revient au prix d’une relation abîmée. Une façon franche d’exprimer la méfiance envers les dettes entre proches.
«Celui qui a une pièce vaut une pièce»
(Elly ma‘ah qirsh yesawi qirsh)
Dans une société parfois marquée par les inégalités, ce proverbe dit froidement ce que beaucoup pensent tout bas : la valeur d’un homme est mesurée à ce qu’il possède. Une critique implicite d’un monde où la richesse fait la réputation, et la pauvreté l’anonymat.
«Celui qui ne sait que faire de son argent achète des pigeons et les relâche»
(Elly ma‘ah qirsh mehayyeruh, yegib hamam we yetayeruh)
L’origine de ce proverbe remonte à l’époque mamelouke. On raconte que des notables du Caire achetaient des oiseaux pour les libérer en croyant gagner ainsi des mérites spirituels. Le peuple, observant ces gestes fastueux, forgea ce proverbe pour se moquer de ceux qui jettent leur argent dans l’inutile ou le spectaculaire.
«Mieux vaut perdre une pièce que de perdre la face»
(Hayn qirshak wala tehin nafsak)
Ce proverbe valorise la dignité au-dessus de l’argent. Il enseigne qu’il vaut mieux dépenser un peu plus, voire perdre financièrement, plutôt que d’accepter l’humiliation. Une belle leçon d’élégance morale.
«Celle qui épouse un singe pour sa fortune, un jour il ne restera que le singe»
(Ya wakhda el-qird ‘ala maluh, bokra yeruh el-mal we yefdal el-qird ‘ala haluh)
Dans un style à la fois grinçant et imagé, ce proverbe s’adresse aux femmes qui épousent un homme uniquement pour sa fortune. Il rappelle que l’argent peut disparaître, mais que le caractère — ou les défauts — de la personne restent.
«L’argent mal acquis ne dure pas»
(El-mal el-haram mabiydoomsh)
Derrière cette phrase simple se cache une profonde dimension éthique. L’argent obtenu de manière malhonnête est voué à disparaître. Ce proverbe réaffirme une valeur centrale dans la culture égyptienne : la bénédiction divine ne repose que sur les biens licites.
«L’info d’aujourd’hui est payante, demain elle est gratuite»
(Ya khabar el-naharda bifulus, bokra yeb’a b-balaash)
Ce proverbe vise les curieux ou les impatients qui veulent toujours être informés avant tout le monde. Il rappelle qu’avec un peu de patience, les nouvelles finissent par arriver à tout le monde — et sans frais.
«Dépense ce que tu as, ce qui est caché viendra»
(Esref ma fi el-geyb, yegeek ma fi el-ghayb)
Une ode à la générosité et à la confiance en l’avenir. Ce proverbe exprime la croyance que ce que l’on donne ou dépense avec foi finit par revenir, d’une manière ou d’une autre.
«Même si tu es assis sur un puits d’or, dépense avec mesure»
(In kont ‘ala beer, esref b-tadbeer)
Ici, la sagesse conseille la modération. Même si l’on possède beaucoup, il ne faut jamais gaspiller. L’argent peut toujours finir par s’épuiser, et la prévoyance est une vertu.
«Une pièce blanche te sauvera un jour noir»
(El-qirsh el-abyad yenfa‘ fi el-yom el-eswed)
Ce proverbe est un classique : il incite à l’épargne. L’idée est simple : économiser un peu chaque jour permet de faire face aux coups durs. Une leçon de prudence que beaucoup de familles égyptiennes enseignent dès l’enfance.
«L’argent laissé sans surveillance apprend aux autres à voler»
(El-mal el-sayeb y‘allem el-ser’a)
Une façon directe de rappeler qu’il faut gérer son argent avec sérieux. Ce proverbe souligne que l’absence de vigilance peut attiser la tentation chez les autres. Une exhortation à la responsabilité.
«L’argent fait danser la vieille»
(El-fulus tikhalli el-‘agouz nanous)
L’image est drôle et provocatrice : même une vieille femme retrouverait sa vivacité si l’argent entre en jeu. Ce proverbe dénonce le pouvoir de l’argent, capable de masquer les réalités les plus évidentes. Il est souvent utilisé dans le contexte du mariage, pour souligner que la fortune peut éclipser l’âge ou d’autres défauts.
« Avec ton argent, même la fille du sultan devient ta promise »
(Bifulusak bint el-sultan ‘arousak)
Ce proverbe illustre avec une pointe d’amertume l’idée que l’argent peut tout acheter, même l’amour ou les plus hautes lignées. Une manière d’évoquer, non sans ironie, l’influence de la richesse sur les rapports sociaux et matrimoniaux.
À travers ces dictons colorés et parfois impertinents, la culture populaire égyptienne livre un regard critique mais profondément humain sur l’argent. Ni condamné, ni idéalisé, il est vu comme une force ambivalente, capable du meilleur comme du pire. Dans un pays où le verbe est roi, ces proverbes offrent un miroir saisissant de la société, et rappellent que la vraie richesse reste, peut-être, celle du bon sens.