Des tunnels souterrains au Brésil, autrefois attribués à des civilisations disparues, se sont révélés être d’anciens abriscreusés par une mégafaune éteinte, les paresseux et tatousgéants. Appelés “paléoterriers“, ils continuent d’intriguer les scientifiques, qui tentent d’en déterminer la fonction.
Par : Marwa Mourad
Les opportunistes chasseurs de trésors qui en ont fouillé les tréfonds pensaient y trouver des richesses dissimulées par les Jésuites. Dans les centaines de tunnels disséminés à travers le Brésil, la plupart cachés car remplis de sédiments, ils n’ont finalement trouvé que de la poussière… et de profondes rayures incrustées dans les murs.

Pendant de nombreuses années, locaux et scientifiques ont penséqu’elles étaient l’œuvre de civilisations anciennes, potentiellement réalisées avec une pioche.
Leur étude a finalement révélé une réalité tout à fait différente : elles ont été creusées par la mégafaune, un paresseux (Mylodontoidea) ou tatou (Glyptodon) géants il y a moins 10000 ans. Si ces quinze dernières années, plus de 1500 “paléoterriers” ont été recensés au Brésil, selon BBC Travel – ce qui en fait la région la plus fortement concentrée en tunnels paléolithiques faits par des animaux colossaux éteints – les chercheurs du projet Paleotocas continuent d’en analyser les moindres recoins. Ils présentent ainsi régulièrement les résultatsde leurs fascinants travaux en cours.
Les paléoterriers identifiés sont de taille exceptionnelle, atteignant les 1,5 mètre de hauteur, 3 mètres de largeur pour 30 à 40 mètres de longueur. Les animaux ne creusant pas des tunnels beaucoup plus larges que leur corps, pour rester protégés, les trous creusés témoignent de l’importance de la carrure des tatousles traversant, de la taille d’une voiture, ou encore d’anciensparesseux.

Ces derniers étaient en effet bien différents des petits arboricolesdes forêts tropicales actuelles. À quatre pattes (ou même parfoisbipèdes), ils pouvaient mesurer quatre mètres de long et peserjusqu’à quatre tonnes pour le Megatherium, créature comparable à un “hamster de la taille d’un éléphant”.
Il est toutefois plus probable que les galeries ici mentionnéessoient en réalité la création de cousins relativement plus petits, Scelidotherium ou Mylodon, par exemple. Il y a entre 15 millions et 10000 ans, près de cent espèces différentesparcouraient les Amériques, suggèrent les fossiles.
Regain d’intérêt pour les paléoterriers ces dernières années
Avant même qu’elles ne passionnent les scientifiques, les traces significatives laissées par ces immenses mammifères terrestressemblaient déjà connues des communautés autochtonesrégionales.

BBC Travel nous donne pour exemple le peuple Kaingang, indigène du sud et sud-est du Brésil (État du Rio Grande do Sul, à la pointe du pays). L’un de leurs contes populaires orauxraconte l’histoire d’une famille, descendue dans un trou creusépar un tatou pour profiter de l’abondance de nourriture s’ytrouvant, et se cacher des non-autochtones.
Or, comme l’indique une spécialiste des transformations culturelles et territoriales des Kaingang, chez ces derniers, “il n’ya pas de mythes, car tout ce que racontent les peuples indigènesplus âgés est considéré comme vrai”.
Avec les années, une centaine de paléoterriers ont été distinguésdans cette région toute particulière. Mais ils ont connu un regain d’intérêt vers 2009, année de la découverte de l’un entre eux par un agriculteur. Alors qu’il parcourait son champ de maïs, celui-ci est tombé sur une cavité souterraine sous le sol sec. Et dansce “labyrinthe de lapins surdimensionné” sombre et frais, comme le décrivent nos confrères, les chercheurs curieux de cette trouvaille inhabituelle furent fascinés : les marques extraordinairement figées dans les murs n’étaient certainementpas faites de la main de l’homme.
Des questionnements toujours en suspens
Une dizaine d’années plus tard, les scientifiques les étudienttoujours, en recherche de restes de fourrure ancienne qui permettraient d’identifier les espèces concernées, notamment.

Ils cartographient également en ce moment le tunnel paléolitiquede Toca do Tatu (“terrier du tatou”) de l’État de Santa Catarina — où des mystérieuses peintures rupestres, des triangles semblables à des montagnes, ont aussi été identifiées en son sein. L’objectif est de repérer des motifs, potentiels indicateursdes biomécanismes en jeu lors du creusement des grandesinstallations. D’après, les spécialistes, il reste encore des annéesde recherche dans le domaine.
Pour le moment, ils ne savent en effet pourquoi de si grands animaux auraient voulu se terrer dans des cavités si grandes. Ilssupposent qu’elles pourraient avoir été construites pour allaiterles petits, réguler la température corporelle ou même hiberner. Paresseux comme tatous géants auraient pour se faire dûdévelopper une “force absurde” dans les bras. Une autrehypothèse serait que chaque tunnel ait été construit sur plusieurssiècles voire milliers d’années, par des animaux organisés engroupe sociaux, façonnant génération après génération unegrande grotte utile à des besoins méconnus.
Une autre interrogation pèse à propos de la localisation des paléoterriers, concentrés dans les États du Rio Grande do Sul et de Santa Catarina, plaque tournante de la recherchepaléontologique — bien que certains aient été repérés dans le Minas Gerais plus au nord (en revanche, toujours au sud du Brésil). Une poignée peut être comptée dans une Amérique du Sud plus globale, sans qu’aucune n’ait été signalée en Amérique du Nord, où ces animaux évoluaient pourtant ; la mégafaune se déplaçait sur tout le continent. Là encore, les théories sontnombreuses, mais le mystère reste à résoudre.