Il est des héritages que l’on porte sans le savoir, légers comme l’air et pourtant enracinés dans la nuit des temps. Les mots que nous glissons au détour d’une conversation, qu’ils soient chantants dans nos dialectes ou solennels en arabe classique, viennent de bien plus loin que nous : ils viennent souvent de l’Egypte ancienne.
Oui, nos ancêtres ne nous ont pas seulement légué des pyramides et des pharaons au regard hautain : ils nous ont transmis, en douce, un trésor de petites expressions du quotidien. Certaines sont arrivées jusqu’à nous telles quelles, d’autres se sont un peu froissées au passage des siècles, et d’autres encore se sont habillées de nouveaux sens, comme pour mieux passer inaperçues.
Une grande partie de notre langage populaire plonge ses racines dans plusieurs millénaires d’histoire. Et ce n’est pas tout : même les langues étrangères, de la grecque à l’anglaise, ont, sans trop s’en vanter, chipé quelques perles au coffre du parler égyptien. Par exemple, la Grèce a emprunté notre fameuse « mastaba » pour en faire « mesitopos », et l’anglais, toujours aussi pragmatique, a recyclé le mot tel quel.
L’arabe moderne regorge ainsi de mots venus tout droit des temples et des champs du Nil. Ils ont traversé les siècles, parfois déformés, parfois embusqués sous des formes nouvelles, mais toujours fidèles à leur mission première : dire la vie.
Voici, pour le plaisir, quelques-uns de ces mots voyageurs :
• Sha’sha’ el-fajr : “Le jour point” — quand l’aube, encore timide, étire son premier bâillement.
• El-’aish bash : “Le pain est tendre” — et le cœur aussi, parfois.
• Battat : “Écraser” — un verbe très apprécié par les pieds distraits et les chaises fragiles.
• Tata : “Pas à pas” — et tout doucement, s’il vous plaît.
• Kham : “Tromper” — spécialité universelle.
• Tata khti el-‘ataba : “Allez, avance !” — conseil maternel indémodable.
• Habba : “Un peu” — mais toujours avec beaucoup d’amour.
• Yama : “Beaucoup” — le mot des grand-mères devant leurs montagnes de couscous.
• Karkar : “Rire aux éclats” — et secouer les murs de la maison.
• Tannash : “Ignorer” — parfois une stratégie de survie.
• KaH KaH : “Devenir vieux” — mais toujours jeune de cœur.
• Nounou : “Petit bébé” — adorable jusqu’à ce qu’il crie à 3h du matin.
• Hawsa : “Chant haut et fort” — ou cri de victoire.
• Ambo : “Boire” — le premier mot appris lors des longues étés.
• Shibshib : “Sandale” — arme éducative de toutes les mamans.
• El-donya ba’et saHd : “Il fait une chaleur d’enfer” — poésie estivale.
• KaHKaH : “Vieillard” — respecté et parfois cabossé.
• Ma’Hour : “Triste” — mais toujours digne.
• Ma’a : “Fixer du regard” — avec intensité et parfois suspicion.
• Tabout : “Chaise” — ou siège modeste des fatigues ordinaires.
• Adi : “Donner” — geste qui embellit la vie.
• Hamham : “Murmurer” — l’ombre sonore des secrets.
• Za’naf : “Nageoire” — clin d’œil aquatique à nos cousins poissons.
• Medammès : “Cuit” — hommage discret à notre cher foul medames.
Ainsi donc, chaque fois que nous lançons un « Ambo » assoiffé ou un « Tannash » désinvolte, nous faisons revivre, sans le savoir, un éclat d’Egypte ancienne. Une mémoire affectueuse, facétieuse parfois, qui prouve qu’en matière de langage, l’histoire n’est jamais finie… et que l’humour a toujours eu droit de cité.