Renoncer est un acte qui demande du courage, une force intérieure qui permet de faire face à l’incertitude et à l’adversité. La notion de renoncement suscite des questionnements profonds sur la nature humaine, la résilience et la prise de décision. Dans un monde où la persévérance est souvent glorifiée, explorer le lien entre renoncer et le courage offre une perspective fascinante sur la complexité de nos choix et de nos actions.
Par : Hanaa Khachaba
« Je crois ne pas y arriver ! », est-ce dire cela demande du courage ? Vous allez peut-être dire « C’est débile. Renoncer, c’est facile. » Vous imaginez une situation dans laquelle vous demandez à une personne si elle ne devait pas chercher du boulot. Et, elle vous répond que oui, mais finalement elle a renoncé. « Quel courage ! Je ne sais pas comment vous faites, parce que moi je ne peux pas. ». C’est tellement facile de se trouver des excuses pour chercher du travail : j’ai besoin d’argent, il faut que je nourrisse les enfants, je veux être utile, donner un sens à ma vie. Par contre, pour ceux qui abandonnent, eux, ils restent sur leur canapé à ne rien faire, droit comme un i quoi qu’il en coûte. Quel courage !
Alors le courage, qu’est-ce que c’est ? C’est la force qui nous permet de lutter contre l’adversité. C’est la détermination qui nous donne l’énergie pour atteindre notre but au mépris du danger, de la peur de la souffrance physique ou morale. Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Et renoncer, c’est exactement le contraire : c’est choisir d’abandonner, c’est refuser de faire les efforts qui me permettraient d’atteindre notre but. Et si on abandonne, si on renonce, c’est pourquoi, sinon parce qu’on manque de courage, de force, de détermination.
Alors le courage de renoncer, ce serait un peu comme on disait « la force de la faiblesse » ou « c’est gentil d’être méchant ». Pourquoi donc y aurait-il du courage à renoncer ? En voyant Simone Biles aux Jeux Olympiques à l’été 2021 à Tokyo, l’idée du courage de renoncer prend tout son sens.
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A l’époque, c’était la gymnaste américaine la plus titrée : quatre médailles à JO de Rio. Elle a été annoncée comme la superstar des JO, qu’elle allait rafler toutes les médailles. Première surprise : elle déclare forfait juste avant le concours par équipe. Là, on se dit : « elle ne pense qu’à elle, elle doit se ménager pour le concours individuel ». Oui mais non. Le lendemain, elle y renonce aussi. Là, on se demande « Pourquoi abandonner si près du but, après des années d’entraînement, de persévération voire de sacrifices ?! ».
En fait, Simone Biles avait fait un burn-out parce que ces années de sacrifice l’avaient justement détruite psychologiquement et physiquement. Alors là on se demande « Force ou faiblesse ? ». Quel courage y a-t-il à accepter de subir tout ça ? En perdant ses JO, est-ce que Simone Biles n’a pas sauvé sa vie ?
La première impression que l’on aurait ordinairement c’est de dire qu’elle a manqué de courage, de force physique et mentale, puisqu’elle les avait perdus. Ce qui rappelle une fameuse formule de Steve Jobs, le philosophe du XXIe siècle : « Je suis convaincu que ce qui sépare l’entrepreneur qui réussit de celui qui échoue c’est, pour moitié, la pure persévérance ». Pour réussir dans la vie, il faudrait croire en ses rêves, persévérer malgré les revers et les échecs, comme l’affirme le fameux proverbe japonais « Tomber sept fois, se relever huit, c’est ça la réussite ». En tout cas, la majorité de nous pensent que ceux qui échouent ne seraient simplement pas assez accrochés, trop lâches, trop faibles, trop paresseux.
Le Professeur de philosophie Gilles Vervisch, brillant orateur sur TEDx, dit penser qu’il ne faut pas du tout persévérer pour réussir dans la vie, parce que la persévérance peut n’être que de l’obstination. S’obstiner, c’est persévérer dans la mauvaise direction. La question qui s’impose donc : comment savoir faire la différence entre persévérer et s’obstiner ?
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Pour y répondre, on se rappelle la fameuse réplique dans le film Gladiator de Ridley Scott : « Les hommes devraient savoir quand ils sont vaincus ». Alors c’est ce qu’écrivait déjà Machiavel en 1513 dans son livre « Le Prince ». Cet humaniste florentin qui est l’origine de l’adjectif « machiavélique », puisqu’il explique que tous les moyens sont bons pour conquérir le pouvoir : la fin justifie les moyens. Dans son ouvrage « Le Prince », il écrit : « C’est chose vraiment tout à fait naturelle et ordinaire que de désirer acquérir. Et toujours, quand le font les hommes qui le peuvent, ils en seront loués et non blâmés. Mais quand ils ne peuvent pas et veulent à toute force le faire, là est l’erreur, et le blâme. »
Là, en fait, Machiavel, dans « Le Prince », fait un peu du Steve Jobs avant l’heure, c’est-à-dire que, pour lui, nos réussites, nos actes dépendent à moitié de nous-mêmes, et à moitié des circonstances extérieures. Il distingue ainsi la « vertu » de la « fortune ». La vertu, c’est tout ce qui dépend de moi, mes qualités personnelles, la persévérance, le courage, la sagesse, alors que la « fortune » c’est la chance, c’est tout ce qui ne dépend pas de moi. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille, comme dit l’autre.
A partir de là, deux idées : d’abord, Machiavel nous dit qu’effectivement, la vertu par excellence, c’est d’être assez prévoyant, assez prudent, pour réduire le plus possible la chance, c’est-à-dire dépendre le moins possible des circonstances extérieures. Comme, par exemple, quand on construit un bâtiment antisismique au cas où il y aurait un tremblement de terre.
Dans ce sens, la seule erreur de Simone Biles et ce qu’elle regrette le plus, c’est d’avoir renoncé trop tard. Dans une interview au New York Magazine, quelques semaines après les JO, elle a déclaré qu’elle aurait dû abandonner bien avant Tokyo. Et pourquoi ? Parce qu’elle a attendu le burn-out, elle a attendu l’épuisement. Elle a renoncé quand elle était au pied du mur, et qu’elle n’avait plus le choix. Ce n’est pas vraiment renoncer, puisque renoncer, c’est abandonner volontairement. Le vrai courage, la vraie lucidité, c’est de renoncer avant qu’on y soit contraint par les circonstances extérieures, comme le sportif qui renonce au top de sa forme, parce qu’il sait qu’après, ce sera forcément la dégringolade.
« Les hommes devraient savoir quand ils sont vaincus », parce que sinon, ils se lancent dans un combat perdu d’avance, où ils perdront en vain leur énergie, leur force, leur temps, et pour finir leur vie. Et la vie est pleine d’exemples de gens qui auraient dû renoncer avant qu’il ne soit trop tard. Le prof qui est malmené par une classe difficile et qui, dans la solitude, face à son reflet dans le miroir, en pleurs, il se dit : « Si tu abandonnes, ils ont gagné ». Idem, le salarié qui accepte de subir le harcèlement de son chef, tout cela pourquoi ? Une promotion ou pire, simplement garder sa place. Et pareil, l’athlète qui se tue à l’entraînement, tout cela pour quoi ? Une médaille, un titre, un trophée.
Si l’on y réfléchit, Simone Biles a eu beaucoup de courage pour renoncer à ce moment-là. Elle était devant des milliards de téléspectateurs. Quand vous êtes attendu par les sponsors, les entraîneurs, et surtout quand on a soi-même vécu toute sa vie pour ce moment-là, il en faut de la lucidité et du courage pour se dire : « J’ai assez sacrifié, il est temps d’arrêter les frais ».
En fait, quand on dit qu’il faut croire en ses rêves, le problème c’est que mes rêves ne sont pas forcément les miens. Peut-être que les rêves de Simone Biles étaient ceux de ses parents ou de ses entraîneurs, comme c’était le cas pour John McEnroe ou Mozart. Cela arrive assez souvent dans la vie, les parents projettent leurs propres rêves et ambitions sur leurs enfants.
On fait bien de renoncer quand on se rend compte qu’on a vécu toute sa vie pour faire ce qu’on attendait de nous. E s’il est difficile de le faire, c’est parce qu’on a peur de se faire mal voir. On pense d’abord au jugement des autres. Et, par conséquent, cela nous empêche de prendre nos propres décisions.
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Connaissez-vous Diogène ? C’est un philosophe cynique de l’Antiquité qui vivait dans un tonneau. On racontait à propos de lui qu’il admirait les gens qui, prêts à se marier, ne se marient pas, ceux qui, prêts à partir en voyage, ne partaient pas, et les gens qui s’apprêtaient à se lancer en politique et ne s’y lançaient pas. Bref, Diogène admirait les gens qui avaient le courage de renoncer. Il pensait qu’il fallait beaucoup de force et de maîtrise de soi pour renoncer volontairement à une ligne de vie, celle des gens raisonnables, et ne pas faire ce qu’on attend de vous.
Il faut apprendre à dire non quand il le faut, selon ses propres termes. C’est facile en fait de dire oui, parce que sur le moment, vous passez pour quelqu’un de bien, pour le type serviable qui a le cœur sur la main. Sauf qu’après, on commence à se rendre compte que l’on n’a ni envie, ni le temps, ni le courage de le faire. Le vrai courage, c’est de dire non. Pour le moment, on passe pour un type pas bien, mais au moins, on n’a pas fait croire aux gens qu’on allait leur rendre service que l’on ne pourra pas leur rendre.
Pour conclure, on se demande comment donc distinguer entre persévérance et obstination. Il y a une formule célèbre qu’on attribue à Sénèque qui dit « L’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur est diabolique ». Finalement, l’on doit se poser cette question inévitable ? Comment savoir son désir ? « Connais-toi toi-même », c’est la règle philosophique par excellence qui va vous permettre de trouver enfin votre propre voie pour éviter de faire ce que les autres attendent forcément de vous.