- Le Progrès Egyptien : Quelles sont les formes de coopération éducative entre l’Egypte et la France ? Comment cette coopération a été renforcée durant la période actuelle malgré la pandémie du coronavirus ? * M. Stéphane Romatet : Il faut reconnaître que le coronavirus a un impact pas seulement sur les écoles qui enseignent un programme français en Egypte, mais sur l’ensemble du système éducatif, la preuve c’est le fait que le ministère de l’Education nationale ait développé l’enseignement à distance, la présence hybride, dans les établissements scolaires internationaux français et aussi égyptiens, donc c’est un sujet qui nous concerne tous. Mais, je vais aller au-delà de votre question. Il y a une très forte demande de la part des familles égyptiennes pour que leurs enfants puissent être admis dans des écoles francophones ou à programmes français. Aujourd’hui, nous avons une difficulté c’est que l’offre des familles égyptiennes se retrouve face à des établissements saturés à travers une quinzaine d’établissements à programmes français ou une cinquantaine d’établissements qui forment le réseau des écoles francophones. Il n’y a plus de places. Nous avons un objectif c’est d’augmenter les capacités d’accueil pour que nous puissions faire face à cette demande surtout que les familles égyptiennes trouvent que l’enseignement en français est un enseignement de qualité. Nous sommes très heureux de cela. Nous avons une responsabilité qui est de faire en sorte que nous puissions augmenter nos capacités dans le domaine de l’éducation. Donc, on a travaillé à un plan stratégique de développement de l’enseignement en français en Egypte. Aujourd’hui, nous avons dans les écoles un programme français, le Lycée français, le Lycée Balzac, Concordia, Voltaire, tout ce réseau des écoles, en plus des écoles confessionnelles comme les Jésuites, les Frères de La Salle, enfin tout ce réseau qui est extrêmement riche et qui est très important pour notre relation. Nous voulons doubler le nombre de places dans les années qui viennent dans ces établissements. Il faut qu’il y ait un certain nombre d’écoles qui ouvrent aussi dans des lieux comme la nouvelle capitale. Il faut qu’il y ait dans la nouvelle capitale, pas aujourd’hui, mais dans quelques années, une école française. Il en est de même pour la ville de New Alamein. Pas maintenant, mais quand la ville sera habitée, il faut que nous songions à y établir une école française. Nous tenons compte également de ces nouvelles géographies qui sont en train de se mettre en place en Egypte, nous anticipions sur les besoins des familles égyptiennes et nous ouvrions de nouvelles écoles. Juste un exemple parce que nous sommes en plein travail là-dessus, à Alexandrie, il y a une très forte demande par les familles égyptiennes pour plus de places dans les établissements à enseignement français, le Lycée français d’Alexandrie c’est aujourd’hui 800 élèves. Nous avons pris la décision de reconstruire un lycée français, nous avons trouvé un terrain, un investisseur, nous avons apporté un financement, et nous allons bientôt commencer, on est en train de finir toute la phase administrative, le permis de construire, etc. Nous allons commencer la construction d’un nouveau lycée à Alexandrie qui permet de passer de 800 à 2000 élèves. Mais nous savons déjà que le jour où ce lycée de 2000 élèves sera opérationnel peut-être qu’il sera déjà plein parce qu’il y a une demande très forte. Donc, on est très content de cela, et oui, il faut vraiment qu’on travaille au développement de l’enseignement en français en Egypte, c’est pour nous une priorité stratégique. • Le Progrès Egyptien : Le coronavirus a eu un impact sur la coopération culturelle et artistique FranceEgypte. Est-ce que vous prévoyez de mettre en place des activités en ligne ou à distance pour maintenir cette coopération malgré la pandémie ? * M. Stéphane Romatet : Ce que vous dites c’est malheureusement désastreux. C’est beaucoup d’activités artistiques et culturelles que nous avons ensemble entre la France et l’Egypte qui ont dû être interrompues à cause du contexte. En France, tous les lieux de culture sont fermés : les musées, les cinémas, les théâtres, ce qui plonge le monde de la culture dans une situation difficile, ce qui nous a interdit pendant plus d’un an de développer toutes ces coopérations, beaucoup de coopérations ont été suspendues, quand vont-elles reprendre, je l’espère le plus tôt possible, c’est extrêmement indispensable. Virtuellement, non ! Ce qu’il faut c’est du public. On a fait quelques opérations virtuelles, mais ce n’est pas la même chose! La culture c’est la rencontre, la culture c’est l’émotion. Et on ne peut pas ressentir l’émotion et avoir la rencontre sur un ordinateur. Il faut évidemment reprendre ces échanges. Les artistes qui viennent et qui se déplacent. Cela ne nous a pas empêché il y a deux semaines d’inaugurer la nouvelle médiathèque de l’Institut français, c’est le 21 mars, jour de la fête des mères. Il faut qu’on prépare le terrain pour que dès que la situation sanitaire s’améliorera en France et en Egypte, tout de suite la relation culturelle puisse redémarrer. • Le Progrès Egyptien : La France et l’Egypte ont toutes deux payé une lourde facture face au terrorisme. Croyez-vous que les deux pays peuvent renforcer leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme, notamment sur le plan idéologique d’autant plus que c’est un véritable défi ? Et qu’en est-il de l’éradication du séparatisme religieux qui est très important ? * M. Stéphane Romatet : Je crois que vous avez exactement utilisé les bons mots, nous sommes face à un défi qui est le même, c’est l’utilisation par des groupes extrémistes violents de la religion, c’est le détournement de la religion pour commettre un acte criminel et mortifère. Et, nous sommes – vous l’avez noté – en France et en Egypte confrontés à cette même menace. Vous en avez payé le prix avec des attentats qui ont eu lieu au cours des années précédentes. Nous en avons payé un prix, un prix très élevé. Rappelez-vous les attentats de 2015, de 2016, du Bataclan, de Nice, Charlie Hebdo, et puis récemment l’assassinat atroce de cet enseignant Samuel Paty. Nous avons fait face au même ennemi, nous, français et égyptiens, sommes en face à ceux qui utilisent la religion à des fins terroristes. Un même ennemi, c’est un même combat. Effectivement, la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et dans le domaine de la sécurité est un sujet fondamental de la relation entre l’Egypte et la France. Nous, nous travaillons intensément sur ces sujets-là, évidemment je ne peux pas dévoiler, ce sont des sujets qui sont sensibles, mais cette coopération-là est essentielle pour la France et je crois qu’elle est importante pour l’Egypte. Quant à la question sur le séparatisme, il faut bien voir qu’en France, nous sommes confrontés à l’agenda d’un certain nombre de groupuscules qui cherchent à imposer une vision, une conception de la société qui n’est tout simplement pas compatible avec la nôtre et qui utilise la religion à cette fin. C’est une espèce de politisation de l’Islam à des fins de créer une société à part dans la société française. C’est totalement contre les principes de l’Etat français, en plus, c’est contre l’importance de ce que revêt pour la France la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’absence de discrimination sur la base de religion, on voit bien qu’il y a une idéologie qui est utilisée par certains groupuscules au nom prétendu de la religion pour tenter d’imposer un agenda politique. Donc, il faut mobiliser toutes nos forces pour lutter contre ce que vous appelez le séparatisme. Là, de ce point de vue, la lutte contre l’Islam politique est un combat commun entre la France et l’Egypte. • Le Progrès Egyptien : Comment peut-on renforcer la coopération entre Le Progrès Egyptien et l’ambassade de France ? * M. Stéphane Romatet : D’abord, Le Progrès Egyptien représente une institution dans ce pays, une institution de journal en français et donc évidemment la présence d’un titre comme Le Progrès Egyptien est quelque chose très importante pour la diversité de la presse, la diversité des opinions et la diversité linguistique et donc nous sommes très attachés à ce que Le Progrès Egyptien puisse continuer à exister, mais puisse continuer à se développer. Il faut essayer de trouver les moyens pour vous aider davantage. Nous allons exploiter nos petits moyens pour permettre à votre titre de continuer à exister et de représenter dans la presse égyptienne cette voix particulière. • Le Progrès Egyptien : Comment voyez-vous les mesures préventives et les gestes barrières entrepris par l’Egypte face au coronavirus ? * M. Stéphane Romatet : Ecoutez, les autorités égyptiennes ont pris une décision l’année dernière au début du Covid en mars 2020. Vous avez dit (je parle ici bien sûr des autorités égyptiennes) : on va organiser la coexistence entre la société d’économie et le virus. Vous n’avez pas mis en œuvre, l’année dernière il y a eu le couvre-feu mais vous n’avez pas mis en œuvre certains nombres de mesures qui ont été mises en Europe et qui auraient été très compliquées ici avec un impact social important. L’année dernière, on a eu un lock-down, un confinement complet des pays européens. Ce n’était évidemment pas possible en Egypte compte tenu des caractéristiques de la société et de votre économie. C’est tout à fait compréhensible. Je constate que l’Egypte s’en sort plutôt bien par rapport à d’autres pays : le nombre des contaminations, même si aujourd’hui nous sommes au début de la troisième vague, est contenu, les hôpitaux ne sont pas saturés, vous commencez votre stratégie vaccinale et dans le même temps vous maintenez une croissance économique forte 2,5 à 3% de croissance depuis un an. Donc, dans un contexte où la croissance s’est effondrée partout notamment en Europe, et donc finalement le choix qui a été fait il y a un an de laisser coexister le virus avec la société d’économie, pour l’instant ce choix se révèle assez payant en quelque sorte. Pour l’instant, bravo ! Le gouvernement, je trouve, a bien piloté sa stratégie-Covid. Evidemment, c’est compliqué, on a tous des cas de Covid qui se sont multipliés autour de nous car c’est la troisième vague, il faut être prudent. Mais, pour l’instant, je trouve que cette stratégie a été gagnante pour l’Egypte. Le défi maintenant c’est la vaccination. Mais, ce qui compte ce sont les vaccins qui viendront en Egypte avec ce qu’on appelle le Mécanisme COVAX, c’est-à-dire cette aide qui a été apportée à un certain nombre de pays. Ce mécanisme international a acheté des vaccins pour les mettre à la disposition de certains pays grâce notamment à des contributions très importantes de l’Europe. Et nous, nous sommes fiers que plusieurs centaines de doses à travers ce mécanisme financé par l’Europe arrivent enfin en Egypte. C’est ce qui va permettre à la stratégie vaccinale de se développer. • Le Progrès Egyptien : En Egypte, la femme a réalisé une véritable avancée au cours des dernières années, que ce soit dans le cabinet de Dr Madbouli ou encore au Parlement ? Comment voyez-vous cette avancée ? * M. Stéphane Romatet : C’est un sujet qui est très compliqué. Je constate en vous voyant aujourd’hui, d’ailleurs partout c’est la même situation, que les femmes ont un bel avenir en Egypte. Vous avez raison. Il y a de très beaux symboles qui permettent de montrer que les femmes, comment dirais-je, accèdent à des responsabilités importantes, que la place des femmes augmente dans la politique, puisque je crois que maintenant dans le Parlement, il y a 25% de femmes. Vous avez aujourd’hui 8 ministres femmes, une gouverneur ou « gouverneuse » à Damiette, qui est une femme remarquable que j’ai eu l’occasion de rencontrer. On voit aussi les femmes qui accèdent aux responsabilités dans le monde de l’économie, dans le monde du journalisme, vous en êtes l’incarnation, dans l’ensemble des sphères de la vie sociale égyptienne. Mais, on ne peut pas s’arrêter là. La lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes est à la fois universelle et permanente. Et moi, je suis personnellement convaincu que nos sociétés évoluent, que le progrès social et humain provient en particulier de la promotion des femmes dans l’espace social, dans l’espace économique et politique. J’en suis convaincu. Toutes les grandes conquêtes sociales sont dues à une grande place qui était réservée aux femmes. Donc, ce combat pour l’égalité des hommes et des femmes, pour la promotion des femmes dans la vie économique et sociale c’est ce combat que vous menez à travers la profession que vous menez, je trouve que c’est un très bel engagement