Sous les projecteurs du théâtre Al-Samer à Agouza, le rideau s’est levé sur une œuvre poignante et ambitieuse : « Rue 19 », une pièce de la troupe du Centre Culturel de Guizeh, écrite par Mahmoud Gamal El-Hediny et mise en scène par Amr Hassan. Présenté dans le cadre de la 47e édition du Festival national des troupes théâtrales des régions, organisé par l’Organisme général des palais de la culture sous la présidence du général Khaled El-Labban, ce spectacle a attiré un public dense, ému et captivé.
« Rue 19 » n’est pas un simple récit théâtral : c’est une épopée dramatique qui traverse cent années d’histoire égyptienne, depuis la Révolution de 1919 contre l’occupation britannique jusqu’à notre époque contemporaine. Sur les planches, le passé ressuscite. Les décennies défilent, les époques s’enchaînent et les mutations sociopolitiques s’incarnent dans la rue fictive. Une rue, un peuple, un siècle.
Le metteur en scène Amr Hassan confie : « Le défi était de taille. Reconstituer un siècle d’histoire sur une scène, tout en gardant une narration fluide, demandait un travail d’équipe exceptionnel. Grâce à l’engagement de chacun, nous avons réussi à transformer cette idée monumentale en une réalité vivante et bouleversante. »
Le scénographe Mohamed Fathy, quant à lui, a relevé avec brio le défi de la diversité temporelle, en recourant à une scénographie souple, inventive, où les accessoires jouent un rôle de passeurs d’époque. « Il fallait transporter le public à travers les décennies sans jamais rompre le fil. La collaboration étroite avec le metteur en scène a été la clef », confie-t-il.
Au cœur de cette traversée historique, des figures humaines. Aïcha, interprétée avec une intensité bouleversante par Omnia Mohsen, est l’une des premières habitantes de la rue. Privée d’enfant pendant des années, elle finit par donner naissance à un fils, qui partira à la guerre comme son père, pour ne jamais revenir. Aïcha incarne toutes les mères endeuillées de l’histoire égyptienne, toutes celles dont le destin fut emporté par les vents de la nation.
Saeed Ibrahim, dans le rôle d’Ibrahim El-Attar, campe un homme simple, patriote de la première heure, qui s’enracine dans cette rue devenue mythe. Il garde jalousement le secret de son nom, participe aux manifestations, perd un fils dans les combats post-révolutionnaires, et pourtant reste debout, comme un vieux sycomore témoin du siècle.
La distribution, composée d’une quarantaine d’acteurs, a insufflé une énergie rare à la pièce. Chaque personnage semble porté par la mémoire collective du peuple égyptien. La musique, signée Hazem El-Kafrawi, les chants de Yasmine Mohamed et Seif Ashraf, les chorégraphies de Yasmine Askar, les costumes et lumières de Mohamed Fathy et Ezz Helmy, tout concourt à faire de « Rue 19 » un tableau vivant et mouvant, entre poésie et histoire.
La représentation s’est déroulée sous les regards attentifs d’un jury de haute volée, composé notamment du critique Mohamed Samir El-Khatib, du musicien Dr Tarek Mehran, du décorateur Hazem Shebl, du metteur en scène Ahmed El-Banhawi, et du directeur du festival Samah Osman. Étaient également présents de nombreuses figures du théâtre égyptien, dont Samer El-Wazir, le réalisateur Sameh Mogahed, le critique Kamal Soltan, et l’écrivain Yousri Hassan.
Le Festival des troupes régionales se poursuit jusqu’au 5 juillet, sous la supervision de l’écrivain Mohamed Nassef, et la direction artistique de l’acteur Ahmed El-Shafie. Vingt-six spectacles, tous gratuits, y sont proposés au grand public, témoignant de la vitalité culturelle des régions d’Egypte.
Le mercredi, deux autres pièces étaient à l’affiche : « Le paysan mondain », inspirée de Molière, mise en scène par Ibrahim El-Mahdy au Palais de la culture de Rod El-Farag, et « Hamlet en arabe », une réécriture du texte de Mamdouh Adwan, mise en scène par Ahmed Taha, à 21h sur la scène du théâtre Al-Samer.
Mais le soir, une chose était certaine : « Rue 19 » a gravé son nom dans les mémoires, non pas comme une rue imaginaire, mais comme un pan vibrant de l’âme égyptienne.