
Par un vent tiède de mai, les murs solennels de la Faculté des Beaux-Arts d’Alexandrie se sont faits pages vivantes de l’Histoire. Pour la première fois, la ville d’Alexandrie rend un hommage à l’un de ses artistes les plus poignants et singuliers : Alexander Saroukhan, maître de la caricature égyptienne d’origine arménienne, dont les traits ont immortalisé les visages d’une époque entière. Un retour en grâce, éclatant de nostalgie et de justesse graphique.
Le 12 mai à midi, dans la salle d’exposition du bâtiment Mazloum, l’écrin s’est ouvert sur une exposition aussi rare qu’émouvante : « Saroukhan… Portraits d’Alexandrie ». Une initiative portée par la Faculté des Beaux-Arts d’Alexandrie, en partenariat avec le projet « Mémoire de la caricature » de la Fondation Abdallah El-Sawy pour la préservation du patrimoine de la caricature égyptienne, et la bienveillante collaboration de la famille Saroukhan et de l’Association caritative arménienne du Caire.
Un retour aux origines de l’art caricatural en Egypte
L’exposition dévoile 90 reproductions de haute qualité issues du tout premier salon de portraits caricaturaux qu’avait organisé Saroukhan en 1927 dans la salle Papazian d’Alexandrie. Le visiteur y découvre aussi deux œuvres originales de l’artiste : l’une représentant Abbas Mahmoud El-Aqqad, l’autre une scène saisissante réunissant Gamal Abdel Nasser et l’iconique « l’Egyptien Effendi ». Ces pièces précieuses, offertes respectivement par la Fondation El-Sawy et la famille Saroukhan, viendront enrichir le musée de la Faculté.
Dans l’ambiance feutrée de l’auditorium A du bâtiment d’architecture, une table ronde passionnée a prolongé cette immersion visuelle. Le livre « Saroukhan… Portraits d’Alexandrie » y a été décortiqué, salué pour sa rigueur historique et sa profondeur artistique. Le professeur Mohamed Abdelsalam, coordinateur général de l’événement, a souligné la beauté de cette synergie entre l’institution universitaire, la mémoire familiale, et les acteurs associatifs.
Saroukhan, le poète du trait
C’est avec émotion que la doyenne, Dr Nevine Gharib, a exprimé sa fierté de voir Alexandrie redevenir la scène de ce pan oublié de son histoire culturelle. « Ce genre d’événements est un acte de résistance contre l’oubli, une manière poétique et scientifique de restituer à la ville son rôle de phare artistique », a-t-elle déclaré.
Le professeur Georges Nubar, président de l’Association caritative arménienne du Caire, a rappelé avec une chaleur toute fraternelle ce que Saroukhan incarne : un pont entre les cultures, entre l’exil et l’ancrage. « Ce que l’Egypte a offert aux Arméniens, aucun autre pays ne l’a fait. Elle est notre mère nourricière. Et Saroukhan, son fils le plus espiègle et visionnaire. »
Un héritage vivant et inspirant
Le chercheur et écrivain Abdallah El-Sawy, âme du projet « Mémoire de la caricature », a projeté un diaporama vibrant retraçant plus d’une décennie d’initiatives : livres, expositions, concours, ateliers. Son propos, dense et habité, a mis en lumière la noblesse d’un combat pour le patrimoine, l’image juste, la vérité dessinée.
Il a remercié la famille Saroukhan qui, depuis plus de cinquante ans, veille jalousement sur l’œuvre de leur aïeul, contribuant à la publication de trois ouvrages majeurs, dont celui célébrant aujourd’hui les 125 ans de la naissance de l’artiste.
Un musée, des trésors et une promesse
En conclusion, les invités ont été conviés à visiter le musée de la faculté, joyau discret renfermant plus de cent portraits caricaturaux rares du maître espagnol égyptianisé Juan Sintes. Une richesse insoupçonnée que l’Université d’Alexandrie entend bien partager avec les nouvelles générations d’artistes.
Saroukhan revient, non comme un souvenir figé, mais comme une voix graphique toujours vivante. Ses portraits ne vieillissent pas : ils chuchotent encore aux murs, avec humour, tendresse et lucidité. Une leçon d’art et de mémoire, offerte à Alexandrie – la ville aux mille reflets – par l’un de ses plus fidèles dessinateurs d’âme.