Un voyage au cœur d’un désert habité par les dieux, les pharaons et les murmures de l’Histoire
Au loin, dans les confins de l’Égypte occidentale, là où le sable semble avaler l’horizon et où le vent fredonne les échos d’un monde oublié, s’élève un îlot de mémoire : l’oasis de Siwa. Ici, le désert n’est pas silence, mais parole ancienne, gravée dans la roche et murmurée par les palmiers. Dans cet écrin de solitude et de lumière, les pierres parlent, les temples prient encore, et les montagnes abritent les morts comme les vivants. Loin du tumulte de la vallée du Nil, Siwa est un sanctuaire suspendu entre le ciel et l’éternité, où chaque grain de sable est porteur d’un récit millénaire.
Le temple de l’oracle : Là où Alexandre devint fils d’Amon
Sur la hauteur rocheuse d’al-Agurmi, à l’est de l’oasis, se dresse un village taillé dans la pierre, véritable acropole surplombant le désert. C’est là, derrière une porte fortifiée et un dédale de couloirs étroits, que s’ouvre le sanctuaire de l’oracle d’Amon, ultime refuge des dieux. Le visiteur y découvre la fameuse salle d’audience où Alexandre le Grand, venu d’une Macédoine lointaine, aurait été proclamé fils d’Amon par les prêtres du temple. L’instant est figé dans la pierre comme dans la mémoire collective : un roi se fait dieu sous les auspices du désert.
De cette salle sacrée, un petit passage mène à une loggia ouverte sur les palmeraies ondoyantes. Les fenêtres encadrent des paysages à couper le souffle : la lumière du couchant caresse les dunes, les dattiers dansent au rythme des vents chauds, et tout semble dire que l’éternité veille.
Le Grand Temple d’Amon : Vestiges d’un faste oublié
Non loin du village, dans un clair-obscur de palmes et de sable, repose le Grand Temple d’Amon, dont il ne subsiste qu’un pan de mur sculpté. Mais quel mur ! Les bas-reliefs racontent les processions sacrées, les visages figés dans la majesté, et le souffle de l’histoire se devine dans chaque creux, chaque courbe. Une représentation d’Amon-Rê, aux traits nobles et solennels, trône encore parmi les vestiges. Ce temple, comme un soupir de pierre, garde le souvenir d’un culte vibrant, où les dieux marchaient parmi les hommes.
L’Acropole de Siwa : La citadelle des anciens
Plus loin, surgit la cité-forteresse de l’Acropole, véritable joyau de stratégie et de sacralité. Construite en strates successives, elle abritait autrefois gouverneurs, familles, troupes et prêtres, chacun à son niveau. Tout en haut, la source sacrée jaillit, purifiant les offrandes avant qu’elles ne soient portées aux dieux. C’est là aussi que se dresse un autre temple d’Amon, enveloppé de verdure et caressé par le chant discret de l’Aïn al-Chams — la célèbre « Source du Soleil ».
La Montagne des Morts : La nécropole aux mille alvéoles
À un kilomètre au nord de l’oasis se dresse Gebel al-Mawta, la Montagne des Morts. Tel un immense cône de calcaire de cinquante mètres de haut, il est percé d’une multitude de tombes creusées à flanc de colline, semblables à des alvéoles d’abeille. Ces hypogées, parfois profonds de plusieurs mètres, s’ouvrent sur des vestibules et des cours intérieures où reposent les défunts d’un autre temps. Les murs portent encore les stigmates de leurs prières : hiéroglyphes effacés, symboles d’éternité, invocations murmurées par les siècles.
Le mont Dakrour : La colline aux deux cimes et aux secrets enfouis
À deux milles de Siwa, vers l’est, le mont Dakrour se dresse, majestueux et mystérieux. Ses deux sommets, Nadira et Nasira, gardent des secrets millénaires. Dans la roche, une grotte, Tanashour, s’ouvre, portée par six piliers carrés. À l’ouest, d’antiques inscriptions hiéroglyphiques ornent les parois. En contrebas, se dresse la demeure dite « Maison du Sultan », un édifice en pierre calcaire aux six colonnes, flanqué de trois chambres dont les murs conservent les empreintes du passé pharaonique. Là, dans le silence minéral, les pierres murmurent encore les psaumes des anciens.
Siwa, la mémoire vive du désert
Loin des projecteurs de Louxor et d’Assouan, Siwa incarne une Égypte intérieure, secrète et ensorcelante. Ce n’est pas seulement une oasis de palmiers et d’eau douce : c’est une oasis de mémoire. Chaque pierre est un vestige, chaque ruine un verset, chaque tombe une strophe d’un poème oublié. À l’ombre des temples d’Amon, à la lumière des montagnes de la mort, Siwa raconte une Égypte qui ne meurt jamais — une Égypte qui parle à ceux qui savent écouter.
Et peut-être, en tendant l’oreille, entendra-t-on encore le pas d’Alexandre, le chant d’un prêtre, ou le souffle discret d’un dieu ancien…