


C’est dans une atmosphère chargée d’émotion et de réflexion que s’est levé le rideau, jeudi soir, au Centre culturel de Kafr El-Cheikh. La scène s’est embrasée sous les feux d’Épopée du mirage, une création puissante de la troupe du Palais de la Culture de la Nouvelle Damiette, présentée dans le cadre des représentations finales du théâtre de l’Est du Delta, organisées par l’Autorité générale des palais de la culture, sous la direction du général Khaled El-Labban.
Dès les premières minutes, le public a été happé dans l’univers tourmenté d’une fable contemporaine, inspirée de l’œuvre du dramaturge syrien Saadallah Wannous, magistralement portée par la mise en scène épurée et viscérale d’Amr El-Zoghby. Une œuvre qui fait écho aux tréfonds de l’âme humaine, à ses désirs inavouables, ses égarements tragiques, ses contradictions brûlantes.
Au cœur du récit, Aboud El-Ghawi, personnage complexe et ambigu, revient dans sa bourgade après de longues années d’absence. Il incarne à lui seul le ferment de la tentation, le chant du vice qui s’insinue dans les failles des âmes et les brèches d’un village aux valeurs chancelantes. À travers lui, Épopée du mirage déploie une toile narrative dense, où se livrent, scène après scène, les combats impitoyables entre l’intégrité et la cupidité, entre l’innocence perdue et la corruption rampante.
Ce n’est pas un simple récit de la chute d’un homme, mais le miroir implacable d’une communauté tout entière prête à vendre son âme à l’autel de ses faiblesses. Le mal, ici, n’est pas exogène. Il jaillit de l’intérieur, s’alimente de silences complices, d’ambitions stériles, de rêves avortés. Chaque personnage porte sa part d’ombre. Et c’est là que le texte touche au sublime : dans cette humanité brisée, vacillante, qui nous renvoie crûment à notre propre reflet.
Le jeu des jeunes comédiens – parmi lesquels Nader Mostafa, Ahmed El-Khatib, Nana Bassem ou encore Basmala Khalifa – a servi avec intensité cette œuvre rugueuse. Leur performance, habitée et vibrante, a donné chair et souffle à cette tragédie moderne. Le décor signé Kholoud Abou El-Enein, tout en sobriété expressive, a contribué à cette sensation d’étouffement latent, tandis que la musique originale de Abdelrahman El-Halaby ajoutait une texture sonore poignante à l’ensemble.
Dans une déclaration à la presse, le metteur en scène Amr El-Zoghby confiait qu’Épopée du mirage n’était pas un simple spectacle, mais « un miroir tendu à ceux qui osent encore se questionner ». Une pièce qui, selon lui, n’offre aucune réponse, mais multiplie les interrogations essentielles : « Qui sommes-nous quand nous ne sommes plus ceux que nous croyions être ? »
C’est précisément cette capacité à troubler, à ébranler, à réveiller les consciences que ce spectacle accomplit avec une rare sincérité. Une claque esthétique et morale.
Le programme s’est poursuivi avec Les fous, nouvelle proposition théâtrale de la troupe nationale de Damiette, écrite par Ahmed El-Sherbiny et mise en scène par Abdallah Abou El-Nasr. Une autre plongée attendue dans les vertiges de l’âme humaine.