Et si vous pouviez mener deux vies sans jamais qu’elles ne se croisent ? Une puce cérébrale expérimentale promet de dissocier totalement la personnalité professionnelle de la personnalité privée. Travail intense sans distraction, vie personnelle sans stress. C’est bien l’idée de la série science-fiction “Severance”. Séduisante autant qu’inquiétante. Jusqu’où la science peut-elle modifier l’esprit humain ? Etes-vous pour ou contre ? Lisez l’article puis décidez-vous !
Par Névine Ahmed et Hanaa Khachaba
Entre promesse d’équilibre et menace d’aliénation, la frontière est mince. Imaginez un monde où les gens vivent en double personnalité. Au travail, ils se comportent comme des employés exemplaires, accomplissant avec sérieux leurs tâches. Au sortir, ces salariés ponctuels et dévoués se présentent au monde extérieur avec leur personnalité “normale”, affichant un comportement incohérent, qui ne ressemble pas du tout avec qui ils étaient sur leur lieu de travail. Une dissociation complète qui soulève des questions cruciales concernant cette avancée scientifique.
Une idée vertigineuse qu’explore une nouvelle technologie expérimentale : une puce cérébrale capable de dissocier deux personnalités au sein d’un même individu.

Implantée directement dans le cerveau, cette puce agirait comme un interrupteur entre deux “états de conscience”. L’un, activé uniquement pendant les heures de bureau, serait totalement dédié au travail : mémoire, émotions, interactions… tout serait limité au cadre professionnel.
Alors que l’autre, à l’extérieur, mènerait une vie personnelle sans aucun souvenir des collègues, des dossiers ou du stress du bureau.

“Severance”, cette série, qui attire de nombreux téléspectateurs, explore des thèmes de mémoire, d’identité et de travail à travers l’histoire d’employés d’une entreprise qui subissent une procédure médicale pour séparer leurs souvenirs de travail de leurs souvenirs personnels.
Le concept d’un monde où les individus vivent avec une double personnalité, séparant radicalement leur vie professionnelle de leur vie personnelle offre une riche matière à réflexion sur plusieurs thèmes, notamment l’identité, la société et la santé mentale.
C’est exactement la définition du mot anglais “sevrante”. Or c’est la rupture ou la séparation nette entre deux choses.
Dans ce monde imaginaire, les individus adoptent une personnalité distincte en fonction du lieu où ils se trouvent, travail ou en dehors. Cette dissociation complète rappelle le concept de dédoublement de personnalité ou de trouble dissociatif de l’identité. Ce trouble de la personnalité qui fait qu’une personne peut avoir deux ou plusieurs états de personnalité distincts. Cela pourrait pousser les gens à se demander qui est le “vrai moi”. Est-ce notre personnalité professionnelle, personnelle ou une combinaison des deux ?
Un tel dispositif, déjà fantasmé dans certaines œuvres de science-fiction comme souligné dans la série “Severance”, pose des questions éthiques majeures. Peut-on vraiment fragmenter l’identité humaine sans conséquences ? Qui est responsable des actes commis par chaque version de soi ? Avez-vous de réponses?!

Une conscience divisée : Pour ou contre?
La technologie de séparation des personnalités par puce cérébrale présente des avantages notables, selon ses défenseurs. Elle permettrait une nette distinction entre vie professionnelle et vie privée, réduisant ainsi le stress chronique et favorisant un repos mental complet. L’individu, une fois hors du bureau, n’aurait aucun souvenir de son travail, ce qui améliorerait sa qualité de vie. Sur le plan professionnel, cette dissociation rendrait le milieu de travail entièrement concentré sur ses missions, augmentant productivité et efficacité.
Ch. M. chef de département dans une entreprise de la tech, y voit une avancée majeure. Convaincue et impressionnée par l’idée de ladite série, elle souligne : “Imaginez si nos collaborateurs ne ramènent plus le stress du bureau à la maison. Leur productivité a augmenté, et le turn-over a baissé. C’est une manière de protéger leur équilibre mental”.
Mahmoud E. B., ingénieur affirme après lui avoir posé la question : si jamais réalisé, aurait-il accepté de se soumettre à cette expérimentation ? Il répond : “Définitivement oui. J’ai enfin l’impression de pouvoir me reposer vraiment. Je ne pense plus au travail une fois sorti. C’est comme deux vies, mais chacune est plus claire, plus légère”.
Une telle séparation pourrait également être lourde de conséquences sur les relations sociales. Les amis et la famille ne connaîtront qu’une facette de la personne, ce qui pourrait mener à des malentendus ou à une sensation de déconnexion. Les collègues au travail, même s’ils partageaient des liens de longue date, ne se reconnaîtront plus une fois qu’ils posent pied dehors. Les relations risquent de devenir superficielles, du fait que les gens ne partagent plus leur intégralité avec les autres.

Vivre avec une double personnalité pourrait aussi avoir des effets néfastes sur la santé mentale. Constamment basculer entre deux états de personnalité distincte pourrait affecter la personne qui pourrait se sentir “incomplet”. Il y a toujours une « part » de lui inexistante. Une personne est une entière complète qui a des liens familiaux, des amis, des connaissances…ces relations s’enchevêtrent créant ainsi un environnement social solidaire et confortable pour l’épanouissement de tout un chacun. Cette dissociation de mémoire pourrait donc conduire à une perte de sens de soi. Les individus ne sauraient plus qui ils sont réellement.
cette scission de l’identité humaine est aussi dangereuse, riposte Dalia A. médecin neurologiste. “Si jamais cette idée serait une réalité, à ce moment, on jouerait avec l’intégrité de la conscience. Ces deux “moi”, si on peut le dire, et qui ne se connaissent pas, peuvent développer des conflits internes, des troubles de l’identité, voire des dissociations pathologiques”.
Plus tranchant encore, on s’inquiète de certaines dérives potentielles, “Si l’entreprise contrôle la “version travail” d’un individu, jusqu’où ira ce pouvoir ? Nous risquons de créer des travailleurs dociles, incapables de se défendre, de témoigner, ou même de se souvenir de ce qu’ils vivent?”, s’interroge-t-elle.
Et aussi, cette concentration exagérée au travail et ce dévouement imperméable aux contacts sociaux, pourraient créer un environnement de travail rigide et froid, comme si l’on côtoyait des machines!
Un futur à double tranchant?
La possibilité de séparer radicalement nos vies personnelle et professionnelle grâce à une puce cérébrale soulève autant d’espoirs que de craintes. Si certains y voient une réponse aux souffrances modernes- surcharge mentale, épuisement, perte de sens- d’autres y perçoivent un danger éthique majeur, une intrusion inédite dans l’intimité de la conscience.
En vérité, nos sociétés contemporaines se plaignent du fait que le travail peut souvent empiéter sur notre vie privée, cette idée de séparation radicale de mémoire peut donc sembler à la fois attrayante et terrifiante ! Elle nous pousse à nous interroger sur la valeur que nous accordons au travail et sur la manière dont nous traitons les autres en dehors de notre profession.
A l’heure où la science repousse chaque jour un peu plus les limites du possible, une question essentielle demeure : faut-il appliquer aveuglément les avancées technologiques simplement parce qu’elles sont réalisables ? Ou devons-nous, au contraire, apprendre à poser des limites, à réfléchir collectivement aux conséquences humaines, psychologiques et sociales de ces innovations?