Avec le retrait américain d’Afghanistan, l’alliance entre Delhi et Kaboul est mise en échec, ouvrant à Islamabad des voies sécurisées pour accéder à l’Asie centrale.
Analyse. Une image a suffi à résumer le basculement des rapports de forces et la place prééminente prise par le Pakistan en Afghanistan. Le 4 septembre au matin, une photo circule sur Twitter, celle du chef des services secrets pakistanais, l’Inter-service intelligence (ISI) Faiz Hameed, fraîchement débarqué sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul. Une tasse de café à la main, habillé en civil, il est entouré d’une délégation de responsables pakistanais. C’est le premier haut responsable étranger à revenir dans la capitale afghane depuis le départ des Occidentaux, analyse Le Monde dans son édition du 13 Septembre 2021. Une journaliste tente une question : « Allez-vous rencontrer les responsables talibans ? Êtes-vous confiant pour l’Afghanistan ? » L’homme est un brin gêné, un membre de la délégation répond pour lui : « On travaille pour la paix et la stabilité de l’Afghanistan. » Faiz Hameed conclut l’échange : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. »
Le responsable des services secrets pakistanais était-il à Kaboul pour peser sur la composition du gouvernement, comme l’affirment des analystes ? Une chose est certaine : le retour des talibans offre au Pakistan un rôle d’intermédiaire incontournable, à la fois comme acteur dans les affaires afghanes et comme passage obligé pour les gouvernements étrangers qui voudraient prendre pied en Afghanistan. Il lui assure surtout la « profondeur stratégique » que l’armée pakistanaise recherche depuis des années dans sa rivalité avec l’Inde, l’ennemi juré.
Voilà quarante ans que l’ISI a fait de l’Afghanistan l’épicentre de sa stratégie régionale, en y soutenant, abritant et formant les groupes insurgés. Son objectif était de contenir une double menace. Celle d’un encerclement en cas de guerre avec l’Inde, alliée de l’Afghanistan ; et celle d’un effritement de son intégrité territoriale, car la frontière de 2 670 km avec l’Afghanistan, dessinée par les Britanniques et dénommée ligne Durand, est contestée à la fois par les dirigeants de Kaboul qui ne l’ont jamais reconnue, et par les Pachtouns qui réclament la réunification de cette région partagée entre l’Afghanistan et le Pakistan.
Les Pakistanais, traumatisés par la perte, en 1971, de la partie orientale du pays qui deviendra le Bangladesh, ont toujours tenté d’étouffer les revendications autonomistes des Pachtouns. Pour y parvenir, ils ont promu l’islamisation des populations pachtounes afin de développer une solidarité panislamique et dépasser les logiques ethniques ou tribales, explique Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.
Dès le début des années 1970, selon ce spécialiste des relations afghano-pakistanaises, des milliers de madrasas ont été construites dans les zones tribales pakistanaises qui deviendront plus tard les lieux d’accueil des insurgés contre les Russes puis celui des talibans.